Le 3 mai dernier, la journaliste iranienne Masih Alinejad lançait une page Facebook invitant ses compatriotes féminines à poster des photos d'elles sans leur hidjab (le voile qui laisse le visage apparent). Baptisée « Stealthy Freedoms of Iranian Women » (« Libertés furtives des femmes iraniennes » ndlr), la page a rencontré un fort succès auprès des internautes, dépassant de loin les espérances de sa créatrice.
Près de 500 000 « likes » plus tard, et malgré la censure pratiquée par les autorités iraniennes, des dizaines de milliers de femmes ont posté des milliers de photos sans voile. Un vent de liberté sans précédent dans une République Islamique d'Iran où le port du hijab est obligatoire depuis 1979.
« J’ai simplement demandé aux femmes d’envoyer des selfies de leurs moments privés de liberté », avait alors confié à la presse Masih Alinejad, exilée au Royaume Uni depuis 2005 après avoir révélé un scandale de bonus au Parlement iranien. « Lorsque j’étais en Iran, je retirais mon voile lorsque j’étais dans un champ ou dans un endroit tranquille, et je me demandais combien de femmes iraniennes faisaient la même chose. Apparemment beaucoup », avait-elle poursuivi.
« S'il vous plaît, faites visiter cette page à vos amis. Si vous l'aimez, partagez-la avec votre page personnelle. Cette déclaration met en récit les mots et les images des femmes qui n'ont pas de médias en Iran. »
Devenue la cible des pires rumeurs
Mais deux mois après l'ouverture de sa page, la jeune femme est désormais en proie à un déferlement médiatique agressif de la part des chaînes télévisées étatiques de son pays. La journaliste est ainsi devenue la cible numéro 1 de la télévision d’État, précise Le Figaro, ajoutant que Masih Alinejad est aujourd'hui « directement menacée de mort et insultée publiquement »
Parmi les accusations qui alimentent la campagne de discrédit, plusieurs médias iraniens décrivent la journaliste comme souffrant de troubles psychologiques. D'autres n'hésitent pas à aller plus loin, taxant l'instigatrice du mouvement de droguée, d’exhibitionniste ou encore de prostituée. Par la voix d'un de ses présentateurs, Vahid Yaminpour, la chaîne nationale iranienne affirme ainsi qu’« elle se serait dénudée dans le métro de Londres, aurait été violée par trois malfrats et que son fils serait gravement atteint psychologiquement… ». En guise d'illustration, la chaîne diffuse une photo de la journaliste se tenant le visage entre les mains.
« Mensonges », rétorque l'intéressée qui dénonce un lynchage médiatique et rappelle les méthodes éprouvées de son gouvernement. « Ils veulent simplement me déshonorer et porter atteinte à ma réputation. Dans un pays comme le nôtre, lorsque vous avez une mauvaise réputation, tout votre famille en pâtit. Cela fait trente ans maintenant qu’ils utilisent ces méthodes pour discréditer les journalistes et dissuader les activistes d’opposition ».
Interviewée par France24, Masih Alinejad affirme ne pas être étonnée des commentaires dont elle fait l'objet et affirme même avoir reçu au mois de mai une menace de viol en direct à la télévision. « Des agences de presse très conservatrices iraniennes comme Fars New, m’ont traité d’anti-révolutionnaire [référence à la Révolution de 1979, ndlr] », poursuit la journaliste, avant d'évoquer le cas d'Internet. Car si les Iraniens n’ont officiellement pas accès aux réseaux sociaux, certains de ses détracteurs les utilisent pour donner au lynchage une dimension 2.0. Toujours selon la journaliste, un présentateur iranien ultraconservateur l'aurait ainsi insultée sur le réseau social Google + en affirmant qu’elle devait « être traitée comme une prostituée ».
Une réponse en musique
La journaliste tente malgré tout de rester philosophe, préférant voir ces attaques dirigées contre sa personne plutôt que contre toutes celles qui ont franchi le pas en postant une photo sur sa page Facebook. « Dans un sens, je suis soulagée car ces gens ont préféré m'attaquer plutôt que toutes ces femmes. Je suis heureuse de savoir qu'elles sont préservées de tout cela, même si c'est bien sûr une tragédie lorsque vous rentrez chez vous et que vous voyez à la télévision tous ces gens dire que vous avez été violée... ».
En guise de réponse, Masih Alinejad a choisi la chanson. Face aux fausses affirmations relayées à son encontre, la créatrice de la page Facebook du scandale a publié une vidéo filmée dans le métro de Londres. On y voit la journaliste interpréter une chanson persane devant les passants du « Tube » londonien. Dans sa langue maternelle, Masih décrit ses origines et revient sur les raisons pour lesquelles elle a quitté l’Iran.
Aujourd'hui encore, l’article 638 du code pénal iranien, révisé en 1996, dispose que les femmes qui apparaissent en public « sans porter une couverture religieusement acceptable » sont passibles d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à deux mois.