Le Monde le rappelait récemment, malgré le Brexit, "l'économie britannique continue à surprendre par sa robustesse". La consommation est en pleine forme et le Royaume-Uni affiche l'une des plus fortes croissances du G7. Mais comme dans tout pays, richesse ne veut pas dire absence de pauvreté. Ainsi, selon la Trussell Trust, association chrétienne et banque alimentaire (à l'image des Restos du Coeur), le nombre de personnes qui se sont tournées vers son réseau a été multiplié par trois en 15 ans. En 2015, 1 million de repas d'urgence ont été distribués par la Trussell Trust, soit une augmentation de 2% par rapport à l'année précédente. Des chiffres qui concordent avec ceux de l'ONG Oxfam, qui révélait en 2013 que 2 millions de Britanniques étaient mal nourris. Et si l'aide alimentaire est au coeur des préoccupations de l'Etat et des associations, un élément essentiel pour la santé et l'hygiène des femmes est généralement oublié : l'accès aux produits hygiéniques tels que les serviettes et les tampons.
Mais les révélations de Freedom4Girls, une association basée à Leeds, pourrait bien ouvrir les yeux de la société britannique sur ce problème tabou. Plutôt habituée à envoyer tampons et serviettes en Afrique - où 10% des jeunes filles manquent l'école durant leurs règles – l'organisation a récemment dû réévaluer sa façon de travailler. Car à Leeds aussi, des adolescentes sans le sou désertent les bancs de l'école au moment de leurs menstruations. Interrogée par Broadly, Tina Leslie, l'une des bénévoles, raconte : "Nous savions qu'il y avait un problème sous-jacent. Si vous ne pouvez pas vous payer à manger, vous ne pourrez pas payer des protections périodiques onéreuses". En février, une ancienne bénévole de Freedom4Girls travaillant maintenant dans une école de la ville a pris contact avec l'association, expliquant son malaise :
"Elle m'a dit qu'elle avait pris trois filles sous son aile et que ces trois filles lui ont dit qu'elles n'avaient pas d'argent pour s'acheter des tampons et des serviettes. Alors j'ai essayé de trouver une solution rapide pour offrir des produits à cette école. Et puis j'ai réalisé que c'était un problème bien plus large qui affectait tout le Royaume-Uni". Et d'ajouter au micro de la BBC Radio 4 : "C'est lié à la pauvreté. L'année dernière, 25 000 personnes se sont rendues dans des banques alimentaires seulement à Leeds. Nous devons rendre leur dignité à ces filles".
Les jeunes filles qui n'ont pas l'argent nécessaire pour acheter des produits d'hygiène féminine sont frappées de plein fouet par deux stigmates sociaux. Il y a d'abord celui de la pauvreté mais aussi celui lié directement aux règles. Car si dans certaines régions du monde comme l'Afrique ou le Népal, les femmes ayant leurs menstruations sont considérées comme "impures" ou "souillées", il n'y a pas besoin d'aller aussi loin pour se rendre compte que les règles sont généralement passées sous silence. Dans un entretien accordé à la BBC Radio Leeds, deux adolescentes sont revenues sur le lourd secret qui a empoisonné leur intimité durant plusieurs années.
La première a raconté : "J'enroulais une chaussette autour de ma culotte pour empêcher que le sang ne coule. Je ne voulais pas qu'on se moque de moi. J'ai parfois mis du tissu dans ma culotte pour qu'elle reste sèche. Une fois j'ai même mis du scotch. Je ne savais pas quoi faire d'autre. J'ai gardé ce secret jusqu'à mes 14 ans puis j'ai demandé de l'aide. Je n'avais pas d'argent car ma mère était célibataire et avait cinq bouches à nourrir, donc il n'y avait pas d'argent". Ayant eu ses règles pour la première fois à l'âge de 11 ans, elle a révélé avoir loupé plusieurs fois l'école à cause de son incapacité à s'acheter des produits hygiéniques. Le second témoignage est d'autant plus affolant qu'il démontre bien que de nombreuses jeunes filles ne sont tout simplement pas préparées à ce phénomène pourtant naturel : "Quand j'ai commencé à avoir mes règles, je me suis mise à louper l'école car je ne comprenais pas ce que j'avais. Du coup, mes notes ont chuté et j'ai eu des problèmes. J'ai cru que ça n'arrivait qu'à moi, j'avais peur et je ne voulais plus sortir de chez moi". C'est finalement grâce à un professeur que l'adolescente a eu accès aux produits périodiques et compris qu'elle était "normale".
Depuis la révélation de Freedom4Girls, le parlementaire Jason McCartney a indiqué qu'il ferait bientôt part du problème au Parlement et qu'il espérait pouvoir mettre en place une campagne qui permettrait de distribuer des produits hygiéniques aux filles et femmes dans le besoin. Un projet qui en suit un autre puisque le gouvernement de Theresa May a récemment promis que la fin de la taxe rose serait l'une des priorités du gouvernement une fois le Brexit déclenché. En Angleterre – comme en France – la question de la TVA sur les protections périodiques féminines divise depuis 2015. Et si l'issue pourrait bien être favorable aux Britanniques, de ce côté-ci de la Manche, la TVA a pour le moment était simplement réduite, passant de 20% à 5,5%. Au cours de sa vie, une femme dépenserait en moyenne 1 500 euros pour des tampons et des serviettes. Instaurer la gratuité, totale ou partielle, sur ces produits pour les bourses les plus modestes permettrait à des millions de femmes de prendre enfin soin d'elles-mêmes dans la dignité.