Société
Est-ce facile de faire du stop quand on est une femme ?
Publié le 6 décembre 2019 à 17:55
Par Clément Arbrun | Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
A l'heure des VTC et des applis de co-voiturage, une vieille méthode de voyage perdure envers et contre-tout : l'autostop. Pourtant - les faits divers aidant - il semble toujours dangereux de lever le pouce lorsque l'on est une femme. A raison ?
Faire du stop quand on est une femme : un danger ? Faire du stop quand on est une femme : un danger ?© Adobe Stock
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C'est une image que nous partageons tous. Celle de la jeune femme qui, aux abords d'une route de campagne, lève le pouce. Seule, naïve, elle fera - fatalement - une "mauvaise rencontre" - toujours masculine. La figure de l'auto-stoppeuse traverse depuis des décennies les thrillers, émissions à sensations et rubriques faits divers des journaux. Et pourtant, aujourd'hui encore, nombreuses sont celles à faire du stop pour voyager, qu'il s'agisse de parcourir de longues distances ou de simplement rentrer chez soi.

Faire du stop quand on est une femme, ce n'est pas forcément tomber sur un tueur en série - et encore heureux. Mais, sans sombrer dans l'alarmisme ou le morbide facile type Faites entrer l'accusé, le stop en dit long sur la condition féminine. Si si. Il suffit pour s'en assurer d'écouter celles qui, hier comme aujourd'hui, ont tendu le bras. Terrafemina a recueilli les voix de ces auto-stoppeuses aux expériences contrastées.

"J'en ai pleuré tout l'après-midi"
Souvenirs de stop au féminin. © Adobe Stock

"Je suis devenue un peu parano", nous explique d'emblée Maëlys, 24 ans. Il y a de quoi. Quand elle n'en avait que dix-sept, la jeune femme a justement connu cette angoisse de l'auto-stoppeuse. Mais pour de vrai. C'est à la Réunion, où elle a grandit, que cela est arrivé. Ado, elle se "risquait" souvent à faire du stop, entre copines. Un jour, n'en pouvant plus d'attendre son bus sous le soleil, elle a tenté le truc en solo. Rapidement, un homme s'arrête. La trentaine. Il est d'accord pour la déposer à la gare routière. Maëlys est méfiante, mais elle monte, "tout en restant aux aguets". La bonhomie du conducteur la met vite en confiance. Alors, elle se "relâche". Et lui précise qu'elle a un petit ami (ce qui est faux), car on ne sait jamais.

Mais bientôt, les portes se verrouillent, avec ce "clic" si caractéristique. Le chauffeur, "un peu dragueur" depuis le début du trajet, "change carrément d'attitude". Il lui attrape la cuisse. "Il m'a dit que je "gâchais tout" (avec mon petit ami) mais qu'il "pouvait partager"... Et qu'il me fera des trucs (sexuels, je comprends) que mon petit ami ne me fera jamais. Alors qu'il sait que je suis mineure...", se souvient Maëlys.

Elle, est tétanisée. Et exige à l'inconnu de la laisser descendre. Au bout de quelques minutes interminables, ce dernier finit par ouvrir les portières. Tandis que sa passagère se rue dehors, il en profite... pour lui demander son numéro de portable, en criant.

"J'en ai pleuré tout l'après-midi" se remémore encore la jeune femme. A l'écouter, nous reviennent à l'esprit les témoignages édifiants, réunis sous le hashtag #UberCestOver, des nombreuses femmes harcelées et agressées sexuellement par des chauffeurs Uber. Mêmes propos déplacés (et toujours orientés "au même endroit"), même posture de supériorité du chauffeur (qui "profite" largement de sa position), même angoisse diffuse. L'ex-auto stoppeuse approuve : "Depuis je ne peux pas plus faire de stop seule, et même en co-voiturage je surveille tout le temps le comportement du conducteur, sa conduite, je checke l'itinéraire...".

"Dans la bagnole, tout fait peur"
Le stop, reflet d'une violence banalisée ? © Adobe Stock

Cette méfiance-là est légitime. Même quand, bien sûr, "il y a plus de peur que de mal". Harmony le démontre d'ailleurs. Cette jeune femme de 21 ans a testé en compagnie de ses copines un voyage épique Porte de la Chapelle - Amsterdam. Avant d'arriver à destination, elles ont pu se faire quelques frayeurs dont elles se seraient bien volontiers passées. Porte de la Chapelle, des conducteurs ralentissent et baissent leurs vitres pour leur demander "leurs tarifs". Bien plus loin, deux hommes les prennent en stop. Elles s'endorment. Et se réveillent on ne sait où, à l'approche d'une forêt, des rangées d'arbres alentours. Elles finiront déposées à une gare. Ouf.

Et il y aussi cet homme qui, en cours de trajet, s'est arrêté. A proposé de leur rendre service. Leur a posé plusieurs questions. Mais pas que. " Ses propositions devenaient un peu ambiguës et lorsqu'il a compris que nous n'y étions pas du tout réceptives... il nous a laissées au bord de l'autoroute !". On le comprend vite, qu'il s'agisse de se balader dans la rue (la nuit, mais pas que) ou d'être assise dans une voiture, c'est la même idée qui perdure. "Je me suis sentie vulnérable, comme si je devenais une proie", résume Harmony. Avant que ses copines ne la convainquent de partir "à l'aventure", Harmony leur avait d'ailleurs dit : "vous êtes folles, vous allez terminer dans le journal avec cette histoire". Juste pour rire bien sûr.

Et pourtant, c'est le genre de réflexion qu'a pu avoir Alexandra, une aguerrie de l'auto-stop. Il y a dix ans, la petite vingtaine, elle levait souvent le pouce, pour éviter la route de films d'horreur qui la ramenait chez elle, à Vélizy - en travers des bois, jamais éclairée, le coupe-gorge parfait. Elle se rappelle de tout : ses tentatives, posée au feu rouge, de deviner le visage des conducteurs, "pour savoir si la personne était rassurante ou pas". Son excitation, à se répéter dans sa tête, comme un challenge, "si j'arrive à m'en sortir vivante, c'est quand même que je suis une fille super douée et intelligente". Et surtout, ce moment où les portières se referment.

"Dans la bagnole, tout fait peur: le silence, les questions, les regards", explique-t-elle. La tension est souvent palpable. Alors, comme pour les mecs qui viennent l'importuner dans le RER, Alexandra a mis au point des stratégies d'évitement. Les mêmes que l'on pourrait décocher à un "relou" dans n'importe quel transport en commun. Par exemple, ne jamais dire que l'on revient d'une soirée ou d'un concert quand le "mec" pose des questions, "car le festif est lié à l'alcool, à une forme de liberté sexuelle, cela pourrait lui faire croire qu'il peut tenter quelque chose", nous dit-elle.

Se préparer des réponses toutes faites, c'est ce qu'a fait Maëlys avec son "petit ami imaginaire". Quand, ado, les chauffeurs qui s'arrêtaient lui semblaient "louches", elle leur demandait leur destination, histoire d'esquiver plus aisément - en leur décochant : "Merci, mais je ne vais pas là-bas". Mais parfois, chelou ou non, elle montait quand même. "Un peu par politesse".

"Une personne seule se sent vulnérable"
Le stop : des souvenirs ou des traumas ? © Adobe Stock

Aujourd'hui, Alexandra se dit qu'elle ne pourrait plus faire ce genre de choses. Et elle s'attriste de constater la prégnance de ce fantasme selon lequel "les auto-stoppeuses seraient des personnes un peu trop 'libres', donc un peu fofolles et qui aiment la prise de risque", l'argument en toc des potentiels agresseurs. Des mecs, elle en a croisés plein et d'ailleurs, elle n'a croisé que ça : des hommes seuls, au volant. Jamais de femmes seules. C'est comme si, à l'angoisse de l'auto-stoppeuse rétorquait celui de la conductrice, également peu encline à ouvrir ses portières aux inconnus.

Or, c'est ce que faisait tout le temps la mère de Maëlys : s'arrêter systématiquement à la vision d'une jeune femme qui lève son pouce. "Elle détestait les laisser seules sur le bord du chemin. Elle faisait aussi des détours pour être sûre qu'elles arrivaient à bon port", s'amuse notre interlocutrice. "Une femme seule aura tendance à prendre une femme qui fait de l'auto-stop, parce qu'elle sait ce que l'auto-stoppeuse risque", abonde Alexandra. Une certaine idée de la solidarité féminine qui, désormais, se décline autrement, et moins aléatoirement, avec des services de VTC pour femmes comme Kolett. Ou quand sororité rime avec sécurité.

Bien sûr, le stop n'est pas seulement synonyme de frousse. On souffle un peu. Eva, la vingtaine, ne garde que de bons souvenirs de sa propre expérience. Il lui a suffit de tendre une feuille sur laquelle était inscrit "NANTES" pour "partir à l'aventure", nous dit-elle. "Je n'avais aucune idée de si ça allait marcher, j'ai trouvé ça super drôle de sortir de mes habitudes, de faire quelque chose d'imprévu", explique-t-elle comme pour mieux résumer les vertus de la pratique.

Quand on fait du stop, on papote pour tuer le temps, on fait aussi de belles rencontres avec des anonymes d'un jour. C'est ce qui plaît tant à Allison, étudiante de 23 ans. Du stop, elle en a fait en Ecosse. Ce qui lui a permis de visiter des petites villes "au bon vouloir des conducteurs", de partager des anecdotes avec les gens du coin, et de plus aisément briser la glace avec eux qu'en optant pour un bête Blablacar.

Cependant, Allison, malgré son sac à dos empli de belles histoires, n'ignore pas que les scénarios moins idylliques, ça existe. D'ailleurs, elle l'admet : "Une femme seule se sent forcément plus vulnérable". Mais le savoir ne l'empêchera pas de repartir à l'aventure. Et qui sait, un jour, de se retrouver au volant, bienveillante envers celles qui tendent leur pouce.

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