C'était mardi 10 juillet, le soir de la demi-finale de Coupe du Monde France-Belgique, dans le quartier des Halles à Paris. A la recherche d'un bar où regarder le match, nous avons atterri sur une petite place bondée entourée d'estaminets où la foule occupait chaque mètre carré de bitume.
Chacun·e devant l'écran, tout le monde était tendu. On mordillait son gobelet en plastique rempli de bière, on mangeait des bonbons et des chips pour se détendre. Sur le terrain, les joueurs étaient au contact, se taclaient et se faisaient parfois tomber. Les supporteurs et les supportrices s'emportaient devant l'écran face à quelques actions des Belges un peu limites. Tout d'un coup, j'entends derrière moi : "Hazard enculayyyhhh ! Hazard enculaayyhhh" scandé par un groupe de gars. Rien à faire de passer pour la reloue de service : je tape sur l'épaule d'un mec qui s'est permis d'éructer ces avanies. Il est gêné, le message a dû passer.
Les minutes passent, les Belges font pas mal de fautes, les cartons jaunes pleuvent. Un groupe de mecs costauds au ventre remplis de bière rote des : "De Bruyne saloooope ! De Bruyne salooope" en frappant dans les mains. Regards choqués et désabusés échangés avec les filles autour, l'air de dire : ras-le-bol des mecs qui croient diminuer la masculinité des autres en utilisant à leur encontre des insultes homophobes et sexistes.
On était toutes comme ça :
Mon bras traverse la foule pour toquer l'épaule de ce grand gars musclé pour lui dire tout le mal que j'en pense et lui propose "raclure de bidet" comme insulte de substitution. Le groupe de mecs me toise et rigole en mode, "Oh putain, encore une féministe reloue". Ouais, les gars, la féministe reloue, soutenue du regard par toutes les autres nanas qui se sont senties oppressées par votre insulte.
L'utilisation du mot salope envers un homme sous-entend aussi vouloir lui faire perdre sa virilité et tend vers l'homophobie primaire.
La lutte contre ces insultes, c'est aussi combattre un bout du patriarcat, du sexisme et de l'homophobie ambiante. En 2014, le collectif Georgette Sand avait lancé un concours d'insultes sexy cool pour "insulter sans discriminer". Quand on réfléchit, les insultes du type : "enculé" ou "mongole" touchent toujours une minorité même si on entend parfois des "p'tite bite". Ce type d'injure vise seulement à dévaloriser des groupes pour mieux se positionner en haut de la pyramide.
Ce dimanche soir 15 juillet, ça va être la fête parce que la France est en finale. Et pour que cela soit la fête pour tout le monde (et pas celle des minorités), faisons de ce dernier match, et de tous ceux qui vont suivre, de bons moments. On oublie tous les dérivés de con, toutes les "salope", les "pute" ou autre "enculé", "petite bite", "pédé", "gouine", "pétasse" ou "fils de pute". Soyez grossier, mais sans stigmatiser.
Arrêter ces insultes pas tolérantes et pas tolérables, ces injures oppressives, c'est aussi une manière d'inclure tout le monde dans le football, ce bastion masculin. Un peu comme limiter les plans de femmes sexy dans les retransmissions de matchs. Le Collectif pour une Parentalité Féministe a d'ailleurs fait une petite liste pour une finale féministe, et "pas d'insultes sexistes et homophobes" en fait partie.
On vous en donne quelques-unes pour dimanche soir, histoire que tous ceux et toutes celles qui regardent le match avec vous soit heureux et heureuses de passer ce moment avec vous.
-Raclure de bidet
-Toutes les déclinaisons autour du mot merde : Sale merde, mange-merde, merdeux, étron, sac à merde, tas de merde, fumier, mouche à merde, emmerdeur·euse, enfoiré·e
-Pokémon
-Bouffon
-Pignouf
-Naze
-Poil de cul/Poil de nez
-Raie du cul
-P'tit péteux/P'tite péteuse
-Ordure
-Baltringue
-Balai à chiottes
-Fin de série
-Playmobil
-Crevure
-Razemoket
-Grosse brêle
-Sac à crotte
On vous fait confiance pour que vous vous transformiez en capitaine Haddock et que vous en trouviez plein d'autres. On vous promet, même si ça met du temps à rentrer, lancer un "Poiil de culll" ou un "saaac à meeerde" à un joueur pour vous détendre (ou à ce mec, là, qui ne bouge pas sa voiture !), c'est aussi libérateur qu'un pauvre et triste "salope".
Bon match à tou·te·s !