Les forums en ligne ont souvent mauvaise presse. Lorsqu'on les évoque, c'est généralement à des fins de mise en garde. On prévient qu'il ne faut surtout pas faire confiance à tout ce qui y est écrit. En cause, notamment, la façon dont ces pages interminables répondraient à chaque petite inquiétude de l'internaute par une sentence infondée et irrévocable. Le risque classique est le suivant : en tapant des symptômes bénins sur Internet (type : mal de tête), on risque de se découvrir une tumeur incurable... alors qu'on souffre simplement d'une migraine passagère.
Dans d'autres cas, ils rassemblent les passionné·e·s qui échangent avec ferveur sur des passe-temps pointus. Ou encore, ils finissent par mener - comme nombre de réseaux sociaux - à un désespoir certain pour qui conserverait un soupçon de foi en l'humanité, tant ils recensent une tonne de textes où règnent méchanceté, propos discriminatoires et agressivité. Autant de tréfonds numériques qu'on tente, pour notre santé mentale, de sérieusement éviter.
Et puis, il y a les forums qui accueillent des mots plus tendres, plus doux. Les encouragements, les conseils bienveillants, les témoignages à coeur ouvert qui rencontrent un soutien sans faille. Les avis divers, que l'on prend avec soulagement. Les codes précis, aussi : "bb1" (pour "premier enfant"), "bb2", "gygy" (pour "gynécologue"). Des termes enfantins qui renvoient à un domaine : les forums féminins qui abordent la grossesse et tout ce qui entoure cette période chargée en bouleversements.
Au fil de posts commentés des dizaines de fois, généralement hébergés sur des blogs dédiés à la parentalité, les femmes se livrent, révélant anonymement des pans entiers de leur intimité. Leurs craintes, leurs souffrances, leurs joies. Il y a des bouteilles à la mer, de longs pavés qui narrent les épreuves avant la conception, les questionnements de jeunes mamans, les coups de gueule de parturientes agacées, lasses d'un système qui, elles l'affirment, continue de les ignorer.
Des petits tracas, des gros maux et autant de sujets qui, à défaut d'être écoutés par le corps médical, semblent disséqués directement par les concernées.
Afin de décortiquer ce réflexe peu conventionnel - que représente celui de se renseigner en ligne plutôt qu'auprès de professionnel·le·s - et de réaliser ce que ce recours permet aux futures mères, on en a interrogé plusieurs. On s'est aussi posé une question : que dit-il de la qualité de prise en charge par les structures dédiées, et plus globalement, de la considération pour ces femmes par notre société ? Décryptage.
Anne a 33 ans. Il y a cinq mois aujourd'hui, elle a appris qu'elle attendait son premier enfant. "Une fille pour l'automne", se réjouit-elle quand on la joint par téléphone. Jusque-là, tout s'est bien passé. Les deux premières échographies se sont déroulées sans encombre et, à part quelques semaines ponctuées par des nausées désagréables, elle n'a pas été gênée par sa grossesse. Pourtant, elle l'admet, elle a parfois besoin d'être rassurée. "Sur des petites choses", précise-t-elle. Mais elle a du mal à "déranger" le praticien qui la suit en dehors du rendez-vous mensuel. A la place, elle consulte des forums. Des sites comme MagicMaman ou WeMoms.
"La dernière fois, j'avais des pertes inhabituelles. Pas de sang, mais une odeur persistante. Je voyais mon gynécologue deux semaines plus tard et je n'ai pas voulu le contacter pour si peu. Alors, j'ai enquêté sur les forums que j'ai l'habitude de lire et j'ai rapidement trouvé ce que je recherchais. Plusieurs femmes racontaient avoir contracté quelque chose de similaire, et faisaient le point après leur visite chez le gynéco. Le diagnostic n'annonçait rien grave, mais elles encourageaient à le mentionner rapidement au médecin, ce que j'ai fait ensuite".
On lui demande : pourquoi une telle réticence à joindre en priorité celui dont c'est le métier de s'occuper de ces "petites choses" qui n'ont finalement rien de minimes ?
"En ligne, je trouve très facilement des fils de discussions qui abordent toutes les questions possibles et inimaginables relatives à la grossesse. Et à chaque fois, je tombe sur des réponses pleines de bienveillance et de gentillesse. Elles viennent de mamans expérimentées, souvent, qui transmettent leur savoir. Elles dédramatisent beaucoup, guident, informent. Je ne trouve pas ce soutien auprès de mon obstétricien qui a tendance à tout expédier, surtout mes angoisses. J'ai l'impression qu'il les prend de haut".
Cette sororité authentique, c'est aussi ce qui motive Eleonore, 38 ans, à fréquenter assidument ces espaces qu'elle qualifie de "sûrs". "C'est un peu comme si ces femmes, quels que soient leur parcours, leur personnalité, formaient une armée unie". Une armée "qui ne juge pas", insiste-t-elle. La jeune femme, enceinte de 6 mois de son deuxième, associe les forums féminins à un exutoire qui permet de déverser ce qu'on a sur le coeur. Ces pensées que l'on garde pour soi par peur de paraître incompétente, immature, voire qu'on estime insignifiantes.
"De voir que je n'étais pas seule à me poser certaines questions m'a permis de mieux accepter mon rôle de future maman, de me sentir plus légitime, de prendre confiance en moi. Et ce, dès les premières semaines, alors même que je n'avais pas annoncé ma grossesse à tout mon entourage".
Seulement, aussi sécurisantes soient ces pages pour une bonne partie de celles qui les parcourent, ne sont-elles pas également le signe d'un manquement médical, et sociétal, à adresser sans attendre ?
Pour Judith Aquien, autrice de Trois mois sous silence - Le tabou de la condition des femmes en début de grossesse, le refuge qu'incarnent les forums féminins pour celles qui portent un enfant trahit ni plus ni moins la façon dont cette étape reste "un problème de femmes" aux yeux de la société. Elle le déplore également : ces plateformes elles-mêmes sont discréditées, souffrant d'une "image très 'girly'" et "immédiatement caricaturée". "Alors que ce sont les seuls endroits où l'on se rend compte que l'on est pas seule. Et les témoignages sont terribles, décrivent des symptômes extrêmement durs".
Elle analyse par ailleurs : "On dit beaucoup que la parole se libère alors que non : la parole était là, noir sur blanc. Il suffisait de sortir ces récits des pages santé/parentalité et de les mettre dans les pages société, de les voir comme un enjeu pour le bon équilibre de la société dans son ensemble. Dès qu'une blogueuse prend la parole, il y a des centaines de commentaires qui relatent des expériences similaires sur les réseaux sociaux. La parole est là, il suffit juste d'y prêter attention."
D'y prêter attention, et de lui accorder, enfin et de manière systématique, l'importance qu'elle mérite. "Je ne regrette en aucun cas le réconfort que m'apportent les forums féminins", conclut Eleonor. "Ce que j'aimerais en revanche, c'est qu'ils soient un moyen parmi d'autres de se confier et d'être entendues, et non de remplacer une écoute que l'on devrait recevoir plus naturellement dans un cabinet médical".
Anne, elle, excuse volontiers son obstétricien, qui n'a "sûrement pas le temps de prendre le temps". "C'est peut-être ça, la solution. Le temps et une meilleure communication", imagine-t-elle. Certainement. Mais aussi un changement fondamental dans le regard que l'on pose sur la maternité, comme sur celles qui choisissent de la vivre. En 2021, il devient urgent de l'appliquer.