Protection, dignité et sécurité des femmes contre la violence. C'est l'intitulé officiel de la loi qui, en ce mois de janvier 2021, promet de protéger les femmes iraniennes des violences sexistes et sexuelles. Une initiative que la vice-présidente pour les droits des femmes Massoumeh Ebtekar présente comme le fruit d'une "centaine d'heures d'expertise". Le New York Times quant à lui parle plutôt d'une "décennie de délibérations" de la part du gouvernement iranien, dans un pays manquant cruellement de ce type de criminalisations.
"Ce projet de loi progressiste traite des violences sociales et conjugales, inscrit des mesures éducatives, judiciaires et intersectorielles, définit également les infractions pénales", détaille encore la politicienne. Une loi qui définit noir sur blanc les violences en question, à savoir "tout comportement infligé aux femmes en raison de leur sexe, de leur position vulnérable ou de leur type de relation, impliquant des dommages faits à leur esprit, leur corps, leur personne et leur dignité, les restreignant ou les privant des droits et libertés juridiques".
Au coeur de ce projet, l'ambition de renforcer les amendes et peines relatives aux violences sexistes et sexuelles (de six mois à deux ans de prison et jusqu'à 99 coups de fouet, selon les faits incriminés, du harcèlement - physique et numérique - à l'agression sexiste et sexuelle), mais aussi de sensibiliser le public (adultes par le biais de la télévision, enfants par le biais de l'éducation), garantir l'accès des victimes à des services médicaux et psychologiques, leur dédier des services spécialisées en Iran, mieux former les professionnels - de la santé par exemple - à leur accueil, organiser des formations pour les juges à propos des violences conjugales... Voire même, comme l'énonce Massoumeh Ebtekar sur Twitter, employer des fonds gouvernementaux afin d'aider financièrement ces anonymes bien souvent vulnérables économiquement parlant.
Autant d'idées salutaires donc, pour un projet qui, comme l'annonce la chaîne de télévision ITV, devrait condamner des situations trop banalisées en Iran, comme le harcèlement sexuel ou le mariage forcé. Tout du moins, on l'espère. Car si l'initiative enthousiasme, elle laisse aussi entrevoir quelques failles.
Le compte-rendu détaillé du site d'ITV énumère les limites du projet : ignorer certains aspects des violences conjugales, intrafamiliales et sexuelles, comme le viol conjugal par exemple, mais aussi les certificats de virginité et le mariage forcé des enfants (une réalité pourtant fondamentale dans le pays), notions toujours absentes du Code Pénal, mais également ne pas suffisamment prendre en compte les "crimes d'honneur" et, par extension, l'exploitation des jeunes filles et la violence indéniable des "traditions" iraniennes.
Les crimes d'honneur, ce sont tous ces crimes perpétrés suite à une situation jugée "déshonorante" pour l'autorité parentale et plus largement patriarcale : celle du père, du mari, ou encore du frère. Les raisons les plus courantes ? Soupçon de relations extraconjugales, perte de virginité, refus d'avances sexuelles, simple discussion avec un autre homme... Cette normalisation du féminicide est fustigée par Amnesty International, qui voit là "une pratique ancienne consacrée par la culture, enracinée dans un code complexe qui permet à un homme de tuer ou d'abuser d'une femme de sa famille ou de sa partenaire pour cause de 'comportement immoral' réel ou supposé".
Féminicide, mais aussi violences psychologiques, suicides forcés, attaques à l'acide... Les violences inhérentes à ces "crimes d'honneur" abondent, mais sont encore trop peu prises en compte par cette nouvelle initiative. Témoignerait-elle ainsi d'une incapacité d'évoluer tout à fait ? La question se pose à propos de ce projet de loi pourtant ambitieux, composé d'une cinquantaine d'articles, réfléchi au sein du gouvernement depuis l'arrivée à la présidence de Mahmoud Ahmadinejad (il y a quinze ans), et salué par le Rights Corridor, portail d'informations en ligne rapportant l'évolution des questions relatives aux droits de l'homme - et des femmes.
De quoi modérer quelque peu notre enthousiasme donc. Mais pas celui de Shima Ghoosheh. Avocate basée à Téhéran et spécialisée dans la représentation des droits des femmes, l'experte de la loi se réjouit dans les pages du New York Times de qu'elle considère comme "un pas en avant pour la protection des femmes". Une évolution espérée qui, cependant, n'a pas encore été adopté par le Parlement conservateur du pays...