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"La mort de Mahsa Amini a réveillé la mémoire collective des femmes iraniennes"
Publié le 23 septembre 2022 à 15:36
Par Catherine Rochon | Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
Depuis la mort suspecte de la jeune Mahsa Amini suite à son arrestation par la police des moeurs, un mouvement de contestation massif s'est levé en Iran. Assisterait-on à l'avènement d'une révolution féministe qui pourrait faire chuter le régime ? Analyse de la sociologue et politologue Mahnaz Shirali.
"La mort de Mahsa Amini a réveillé la mémoire collective des femmes iraniennes"
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Il aura suffi d'une étincelle pour que l'Iran s'embrase. Le catalyseur aura été la mort suspecte de la jeune Mahsa Amini le 16 septembre dernier, suite à son arrestation par la redoutable police des moeurs pour "port de vêtements inappropriés". Une énième tragédie comme une ultime goutte d'eau qui a fait déborder cette société iranienne au bord de l'implosion depuis l'instauration de la République islamique en 1979.

Cette contestation inédite- menée par les femmes- pourrait-elle se muer en révolution ? Le régime de plus en plus oppressif pourrait-il être renversé ? Nous avons demandé à Mahnaz Shirali, sociologue et politologue iranienne, autrice de Fenêtre sur l'Iran - Le cri d'un peuple bâillonné, de nous apporter son éclairage sur les événements qui secouent le pays et pourraient faire basculer la République islamique.

Terrafemina : Pourquoi la mort de Mahsa Amini en particulier a-t-elle déclenché ce mouvement de révolte ?

Mahnaz Shirali : Parce que cette jeune femme n'était pas politisée, elle était innocente. Et elle fait partie de cette jeunesse- celle qu'on appelle la "partie grise" en iranien- qui ne se mêle pas de politique et s'est réfugiée dans l'indifférence. Sa mort a réveillé cette partie de la société qui a soudainement a compris qu'on ne pouvait pas rester indifférent. D'un coup, ces jeunes ont compris que même quand on ne fait pas de politique, on peut être touché et perdre la vie.

Existait-il une contestation souterraine face au durcissement du régime ?

M.S. : Les contestations en Iran ne sont pas si souterraines. Elles sont fréquentes et depuis 2019, les Iraniens sortent régulièrement dans la rue. Cette année-là, suite à une augmentation de 300% du prix du pétrole, les Iraniens s'étaient révoltés. La réponse de l'Etat avait été extrêmement violente, conduisant à un massacre des manifestants. Depuis, on sait que la République islamique est incapable de négocier avec son peuple ou d'entendre la voix de ses citoyens. La relation entre l'Etat et la société est coupée et le régime s'est depuis largement radicalisé. La société iranienne est très insatisfaite.

La mort Mahsa Amini a-t-elle été la goutte d'eau face à cette radicalisation ?

M.S. : Oui. Nous sommes ici dans une société qui n'est pas organisée politiquement, où il n'y a pas de partis politiques. Ce type de société réagit d'une manière très émotive. On assiste donc à une réaction épidermique face à la mort de cette innocente de 22 ans.

En quoi les manifestations actuelles sont-elles singulières selon vous ?

M.S. : C'est la première fois que l'on voit des manifestations se créer autour de la cause féminine. Auparavant, les femmes étaient toujours seules face à l'Etat, cet Etat qui les humilie, qui les agresse, qui les violente. Et les hommes ne les soutenaient pas vraiment. Ca fait plus de 43 ans que les femmes iraniennes sont seules et c'est particulièrement violent.

C'est la première fois de l'histoire de la République islamique que l'on voit les hommes solidaires des Iraniennes. Et c'est extrêmement important de voir ces femmes enfin soutenues face au régime.

Des villes traditionnellement conservatrices se rallient également à la révolte. Est-ce également un phénomène nouveau ?

M.S. : Oui, parce que la société a changé. Avant, les petites villes étaient très religieuses et conservatrices, mais les nouvelles générations sont beaucoup moins croyantes. On est dans une homogénéisation de la société iranienne avec des jeunes venant des petites et des grandes villes qui sont complètement "désislamisés" et qui ne comprennent pas pourquoi on leur impose autant de contraintes au nom de l'Islam.

La révolte de la jeunesse iranienne © Abaca
Quel est le rôle de la redoutable "polices des moeurs" iranienne ?

M.S. : C'est l'une des premières mesures répressives mises en place par Khomeini lors de l'avènement de la République islamique en 1979, parallèlement à l'obligation du port du voile. Il a créé cette police des moeurs pour veiller au "bon fonctionnement" des lois islamiques. Il fallait que les femmes s'habillent en noir, portent le voile, sans maquillage.

Cela fait 43 ans que cette police violente et humilie les femmes. Il n'y a pas une seule femme iranienne qui n'a pas été humiliée par cette police. La mort de la jeune Mahsa Amini a réveillé la mémoire collective des femmes iraniennes et tout ce qu'elles subissent depuis quatre décennies.

On observe des femmes iraniennes brûler leur voile en pleine rue ou encore se couper les cheveux. En quoi est-ce aussi symbolique que dangereux ?

M.S. : C'est dangereux parce que si on les identifie, elles risquent d'être arrêtées et emprisonnées. C'est symbolique parce ces actes réveillent l'opinion publique internationale : tout le monde en parle. Ces images montrent au monde entier à quel point les femmes iraniennes sont fatiguées.

Les réseaux sociaux jouent-ils un rôle important dans l'amplification de ce mouvement ?

M.S. : C'est une incroyable caisse de résonnance, capable d'embraser tout le pays. On ne peut plus cacher des événements comme celui-ci maintenant. Mais ils sont aussi dangereux : beaucoup de blogueurs purgent actuellement leur peine dans les prisons moyenâgeuses du régime.

Se dirige-t-on vers une révolution ?

M.S. : Je ne peux pas me permettre de prédire l'avenir.

Les femmes semblent aux avant-postes de la révolte.

M.S. : Les femmes ont été les cibles privilégiées de la violence de la République islamique depuis le début et il est tout à fait normal qu'elles soient sur le devant de la scène. Elles ne sont pas seules pour mener le mouvement, mais on sait désormais que cette société est aussi constituée des femmes.

Ce qu'on observe aujourd'hui en Iran, c'est une immense solidarité entre les femmes et les hommes, entre toutes les catégories sociales, entre toutes les villes. C'est le réveil de la conscience nationale. Et ça, c'est nouveau.

Peut-on parler d'un mouvement féministe ?

M.S. : C'est un mouvement démocratique car dans la démocratie, la cause féminine est largement magnifiée. C'est un combat pour la démocratie et la liberté.

L'abolition de la loi imposant le port du voile vous semble-t-elle envisageable ?

M.S. : Je ne pense pas et de toute façon, cela ne serait pas suffisant. Les Iraniennes ne veulent tout simplement plus de ce régime. Ce n'est pas seulement le port du voile mais tout le régime qui est remis en question. J'ai lu des tweets incroyables du style : "Même si vous nous autorisiez l'alcool ou à faire des strip-tease dans la rue, nous ne voudrions pas de vous".

L'Etat pourrait-il faire des compromis ?

M.S. : C'est un régime qui ne sait gouverner que par la répression. Ils ne connaissent que cette manière violente.

Ces affrontements auraient déjà fait plus de 17 morts en six jours. Craignez-vous que la contestation prenne une tournure dramatique ?

M.S. : Oui, la situation est dramatique et nous sommes très inquiets. Je pense que le nombre de morts est très sous-estimé. Je parlais avec des habitants d'une petite ville de 10 000 habitants et ils décomptaient déjà 10 morts.

La chose la plus dramatique à mes yeux est la survie de la République islamique. Chaque jour où ces gens restent en place est catastrophique pour le pays. Et tout ce qui peut remettre en question sa survie est très enthousiasmant. Aujourd'hui, je suis à la fois inquiète et optimiste.

Le régime des mollahs pourrait-il être renversé ?

M.S. : Evidemment. La société iranienne est hautement éduquée, parfaitement capable de se gouverner. Vous mettez une bande d'aubergines à la tête de ce pays, il serait mieux gouverné que par ces kleptocrates et criminels !

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