Thomas Zuber : Lorsque nous avons écrit « L’open space m’a tuer », nous voulions montrer les bouleversements, sur le plan professionnel, qu’entraînait cette nouvelle organisation de l’espace de travail. Le succès de ce premier ouvrage, nous a convaincu d’envisager une suite qui devrait également traiter des transformations dans le monde du travail.
Au fur et à mesure de notre réflexion, nous avons constaté que les salariés menaient de plus en plus leur vie personnelle comme s’il s’agissait d’un projet professionnel. Ils cherchent à rentabiliser leurs vacances, à optimiser leur santé, à planifier leurs week-end. Parallèlement, ils n’hésitent plus à exposer leur vie privée sur les réseaux sociaux, entraînant une modification de leurs rapports aux autres. Comme des employés dans un open space, les utilisateurs de Facebook se savent observés en permanence. Ils y jouent donc une continuelle mélodie du bonheur, se font des « hugs » (câlins) virtuels et s’envoient des « lol ». Il nous a donc semblé intéressant de nous pencher sur ces comportements liés à cette nouvelle technologie.
Alexandre des Isnards. : Les statuts sont vrais. Nous les avons collectés au fil de nos errances numériques sur les profils de contacts plus ou moins proches, de conversations avec nos amis, etc. Nous avons rapidement eu beaucoup de matière, d’autant que Thomas et moi avons chacun plus de 500 « amis » sur Facebook. Ensuite, nous avons sélectionné les statuts qui nous paraissaient les plus révélateurs de nouveaux comportements et les avons parfois scénarisés. Pour d’autres, nous avons simplement retranscris la réalité. Par exemple, l’histoire de cette femme qui a déjà posté 163 vidéos et 348 photos de sa fille âgée d’un an et demi est 100 % véridique. On peut s’interroger sur l’intérêt pour un parent de publier autant de photos de son enfant, si ce n’est qu’il s’agit de son seul moyen d’exister sur la toile.
A. des I. : Nous voulions que ce livre soit lu par des personnes qui ne lisent pas par manque de temps. Nous pensions en particulier à celles et ceux qui achètent des livres, en lisent le premier chapitre mais jamais le dernier. En effet, grâce aux saynètes, « Facebook m’a tuer » peut être parcouru très rapidement, le temps d’un trajet en transport en commun, par exemple. Par ailleurs, le lecteur est immédiatement dans le vif du sujet. Enfin, il n’y a pas de chronologie entre les différentes saynètes, le lecteur peut donc les lire dans n’importe quel ordre, sans que cela n’affecte la compréhension.
T. Z. : Chaque saynète illustre un changement de comportement dans nos vies. Il y a par exemple celle qui décrit un déjeuner entre deux amis qui, alors qu’ils ne se voient que très rarement, sont incapables d’ignorer leurs téléphones portables pendant la durée du repas. Ils ne cessent d’interrompre leur conversation pour prendre un appel, répondre à un texto ou consulter une nouvelle notification Facebook. D’ailleurs, ces deux hommes pourraient très bien être Alexandre et moi-même.
Il y a aussi ce chapitre qui met en évidence la difficulté des individus à prendre un engagement, ne serait-ce que pour un évènement aussi futile qu’une soirée entre amis. Au lieu de répondre « Je serai présent », aujourd’hui, tout le monde préfère dire « Je serai peut-être présent ». Une réponse qui laisse une porte ouverte à une éventuelle invitation de dernière minute plus intéressante. Par contre, notre but n’étant pas de juger des comportements, nous nous sommes abstenus de terminer ces saynètes par une morale. Nous avons préféré laisser aux lecteurs le soin de tirer eux-même leurs conclusions… ou pas.
A. des I. : Ce réseau a du succès simplement parce qu’il répond à une envie de la population d’exister et de se montrer. Il est révélateur d'un besoin de visibilité mais aussi un amplificateur. En effet, Facebook est dans la surenchère constante. Pour preuve, le portail comprend un moteur de recherche d’amis, suggère continuellement à ses membres de nouveaux contacts, des groupes à rejoindre ou des soirées auxquelles participer. Depuis peu, il est même possible de se géolocaliser !
« Pour vivre heureux, vivons visibles », semble clamer Facebook. Toutefois, il a l’avantage de permettre de retrouver des personnes perdues de vue ou de rester en contact avec celles qui vivent au bout du monde.
En ce qui me concerne, mon usage est celui d’un voyeur. Je suis de ceux qui affirment ne jamais se connecter, alors que c’est faux. J’y vais assez régulièrement pour observer les comportements de mes contacts. Je surfe de photos en albums, de profils en statuts et, sans m’en rendre compte, j’y passe 1h30. J’appelle cela l’errance numérique. Lorsque je publie quelque chose, fait très rare, il s’agit toujours d’un trait d’esprit. L’objectif ? Susciter un maximum de commentaires.
T. Z. : Facebook est une belle invention dont il est important de connaître les failles. Aujourd’hui, dans le monde, 750 millions de personnes possèdent un compte. En France, elles sont plus de 20 millions. Et surtout, bien que l’accès leur soit en théorie interdit, 18 % des 8-12 ans y sont inscrits. Avec ce livre, nous souhaitons donc attirer l’attention de la population sur ce phénomène de société qu’il est aujourd’hui impossible d’ignorer. Nous souhaitons par exemple sensibiliser les utilisateurs aux paramétrages de leur compte, en fonction de l’utilisation qu’ils en font, ouvrir un débat sur la confidentialité des données, la protection des mineurs, sans pour autant avoir un discours moralisateur. D’ailleurs, dans cette optique, nous préparons actuellement des formations dans des établissements scolaires.
« Facebook m’a tuer » d’Alexandre des Isnards et Thomas Zuber, chez NiL Editions. 284 pages. 18 euros.
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