Frédéric Pommier : Je crois que j’opterais pour le fameux barbarisme de Ségolène Royal, « la bravitude ». Il a particulièrement marqué les esprits, alors qu’au cours de la même campagne, Nicolas Sarkozy avait lui-aussi multiplié les barbarismes : il a ainsi parlé de « fatuitude » au lieu de fatuité, d' « héritation » au lieu d’héritage, ou encore de « conquérance » en lieu et place de conquête. Or bizarrement, aucun de ces barbarisme du candidat de droite n’a eu de réel écho : ils ont tout au plus été pointés quelques heures durant par les médias avant d’être aussi vite oubliés. Tout le contraire de la « bravitude » de Ségolène Royal qui a eu un parcours épique et dont tout le monde se souvient encore. Pour quelle raison ? Ce sont les journalistes qui font la célébrité d’un dérapage, c’est lié à un moment politique. Ces formules qui dérapent ont un impact très fort : quiconque entendra l’expression « bravitude » pensera immédiatement à Ségolène Royal, tout comme un « casses-toi pauv’ con » ramène à Nicolas Sarkozy.
F.P : En effet, du côté des hommes et femmes politiques on retrouve des formules passe-partout qu’ils se plaisent à utiliser très régulièrement. Ainsi tous les politiques veulent « faire bouger les lignes », « revenir aux fondamentaux », « tirer la sonnette d’alarme », « prendre de la hauteur » ou encore ils « refusent qu’on stigmatise ». En parallèle, certaines expressions sont des effets de mode, qui connaissent un succès fulgurant avant de retomber dans l’oubli des mots. Par exemple, durant la campagne des primaires socialistes, Arnaud Montebourg avait qualifié Martine Aubry et François Hollande d’ « impétrants » : une formule qui a beaucoup plu aux médias puisqu’ils l’ont tous reprise en chœur durant une semaine. Puis ce mot a disparu aussi vite qu’il était apparu.
F.P : Cela fait cinq ans que Nicolas Sarkozy s’exprime très régulièrement dans les médias, j’ai donc pu recenser beaucoup plus de formules de sa part que de François Hollande. Ainsi, dans mon livre je parle de la « Sarkozite », affection se manifestant par l’usage de l’expression « alors on me dit » : il passe en effet son temps à mettre en avant des témoins qui lui auraient raconté des choses bien naïves. Comme je le relate dans mon livre, les exemples ne manquent pas : le 6 novembre 2007 à propos des réformes il affirme : « alors on me dit : pourquoi vous les faites toutes en même temps ? » tout comme le 8 janvier 2008 à propos des subprimes « alors on me dit : c’est compliqué, il faut attendre ». Cette tournure de phrase lui permet de faire dire tout et son contraire à ce « on » et de mettre en avant ses propositions. Nicolas Sarkozy a également la manie de dire que toute proposition venue de l’opposition est une « folie ». Il affirme aussi régulièrement que ses adversaires mettent « la poussière sous le tapis », sous-entendant ainsi que ce n’est pas son cas. Autre formule fréquemment usitée : « n’a pas vocation à », une expression qu’il utilise pour énoncer une évidence. « La France n’a pas vocation à », « le président n’a pas vocation à »…
F.P : La parole politique est fortement maîtrisée, les hommes et femmes politiques sont entourés d’équipes de communicants, il est donc rare que quelque chose leur échappe. Reste que chez certains on peut remarquer des petits tics peut-être révélateurs. Nadine Morano par exemple qui commence toutes ses phrases par « excusez-moi mais… » : cela peut être une façon de s’excuser d’être dans un milieu politique où elle se sent moins légitime que ses collègues de par son parcours. De même, Dominique de Villepin passe son temps à dire qu’il est « déterminé ». Or les deux derniers candidats politiques qui se plaisaient à répéter qu’ils étaient « déterminés à mener la campagne jusqu’au bout » étaient Hervé Morin et Christine Boutin, qui ont abandonné la course à l’Elysée. Il y a à mon avis une grande part d’auto-conviction à se déclarer déterminé en toute circonstance. Les mots sont donc aussi là pour camoufler certaines choses et nous permettent parfois de découvrir un peu du fond de la personnalité des hommes politiques.
Journaliste pour France Inter, Frédéric Pommier a couvert les campagnes présidentielles de 2002 et 2007, avant de présenter la revue de presse puis de devenir chroniqueur pour plusieurs émissions.
« Paroles, paroles, formules de nos politiques », Editions Seuil, 14€
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