Jusqu’à récemment, personne n’avait osé introduire de la philosophie dès la primaire. Même au collège, cela restait difficile, si ce n’est exceptionnel dans certaines zones d’éducation prioritaire. Mais cette matière, que beaucoup jugeaient trop « élitiste », est en train de se frayer un chemin sur les bancs de l’école.
Certains collectifs d’enseignants prônent ainsi la réflexion dès les premières classes. Et mettent en place des ateliers pédagogiques où les enfants peuvent librement discuter avec le ou le/la professeur(e). Il s’agit avant tout d’un moment privilégié d’échange, et cela ne doit en aucun cas être ressenti comme du travail, ni par les éduquants, ni par les éduqués, qui sont là pour poser les questions qu’ils veulent, déballer tout ce qu’ils ont à dire.
« Donnez-leur la parole, car exprimer des idées sans se sentir jugé, apprendre à déployer une pensée et à argumenter, cela apaise, cela remonte l’estime de soi, et cela diminue la violence. C’est mécanique », argumente ainsi Brigitte Labbé, animatrice de débats philosophiques dans des bibliothèques, des écoles et des collèges situés dans des zones d'éducation prioritaire.
Le premier moyen pour parvenir à philosopher avec les enfants est tout simplement de mettre en place des cellules de réflexion, en classe entière ou en petits groupes. C’est en tout cas ce que font la majorité des enseignants adeptes de ce genre de pratique. Selon eux, il s’agit d’une véritable révolution pédagogique, permettant aux élèves de s’exprimer librement, et d’appréhender un peu moins la « sacro-sainte » philosophie qu’ils pratiqueront, pour beaucoup, dans la suite de leur parcours.
D’autres formes de discussions peuvent être aussi utilisées. Brigitte Labbé, par exemple, écrit des livres directement destinés aux enfants. Avec un langage adapté, elle s’adresse aux plus jeunes, pour leur faire saisir certains concepts de base, à leur portée. Avec Michel Puech et Pierre-François Dupont Beurrier, agrégés tous les deux de philosophie, elle met également en place des goûters-philo, où les enfants se retrouvent pour manger et discuter avec eux.
Différemment, d’autres vecteurs peuvent aider à faire comprendre certaines idées fondamentales aux enfants. C’est notamment le cas de l’art. En accueillant des expositions, comme c’est le cas actuellement dans certains collèges d’Ile-de-France, le corps enseignant peut créer autour des oeuvres des discussions civiques. Une manière simple de dépoussiérer les débats classiques qui ont habituellement lieu en classe.
Même si un grand nombre de mesures commencent donc à émerger en France pour permettre un débat philosophique dès les premières années d’enseignement, il reste encore beaucoup à puiser à l'étranger. En effet, notre pays a accumulé un certain retard à ce niveau, notamment à cause de la prétendue “réputation” de cette discipline, soi-disant réservée aux initiés.
Aux États-Unis, par exemple, cela fait plus de 35 ans qu’une méthode de « philosophie pour enfants » existe. Créé par Matthew Lipman, ce système a été éprouvé dans plus de quarante pays, et ses livres ont été traduits dans plus de vingt langues. Un exploit impossible à l’époque en France, bloquée par les traditions enseignantes et le manque de pédagogie dédiée.
Sans oublier que les enseignants utilisant ces méthodes ont été formés pour, et sont dotés dans leur grande majorité d’un savoir et de clés philosophiques essentielles pour mener le débat. Ce qui est loin d’être le cas ici, où même si l’initiative de « cafés philo » pour les jeunes est louable, nombre d’enseignants ne disposent pas - encore - des connaissances nécessaires à animer de telles discussions, qui sont donc avant tout réservées aux professeurs de français et de philosophie. Le chemin est donc encore long avant d’arriver à véritablement étendre cette réflexion citoyenne chez les enfants, et passe notamment par la formation d’interlocuteurs adaptés.