Jean-Philippe Zermati : Je ne suis pas surpris. Le corps est devenu un marqueur identitaire fort au fil des siècles. Auparavant, la société accordait davantage d’importance à l’apparence, c’est-à-dire au corps enseveli sous des tonnes de tissu. Nos ancêtres s’exprimaient à travers leurs vêtements. Quand le corset a disparu, le corps est devenu son propre corset. Aujourd’hui, nous portons beaucoup moins de vêtements, le corps est donc en première ligne. C’est d’ailleurs flagrant en été : les tenues se raccourcissent, notamment sur les jeunes filles. Ce qu’elles donnent à voir, c’est bel et bien leur corps.
J.-P. Z. : Il correspond effectivement à une réalité sociale. Le corps mince a une valeur marchande pour les femmes actives, en particulier pour les CSP +. D’ailleurs, pour 46% des sondées de 65 ans et plus, « le corps n’a pas d’influence sur le reste de leur vie » car elles ne sont plus sur le marché du travail. Or, c’est précisément dans ce cadre qu’il est le plus important. Plusieurs enquêtes ont ainsi montré l’impact de la beauté et de la minceur sur la réussite socio-professionnelle et les avantages que confèrent ces qualités sur le plan relationnel ou salarial, mais aussi dès l’enfance avec l’indulgence accrue des instituteurs.
J.-P. Z. : Moins on s’aime et moins on se regarde. Les femmes ayant des difficultés à assumer ou accepter leur corps ne se regardent pas et, bien souvent, n’ont pas de miroir en pied chez elles car leur reflet provoque une réaction anxiogène. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, de nombreuses personnes ne se plaisent absolument pas et ne sont pas satisfaites de leur corps. Ce phénomène qui est très lié au milieu professionnel. Ainsi, dans la publicité, la presse, la communication ou le journalisme, par exemple, on pourrait trouver jusqu’à 95 % de femmes insatisfaites de leur corps.
J.-P. Z. : Pas forcément, car on instrumentalise et on médicalise beaucoup trop l’alimentation. Il y a aujourd’hui une confusion entre « alimentation » et « alimentation équilibrée ». En effet, le corps n’a jamais eu autant d’importance qu’aujourd’hui. Résultat, on tente de le contrôler en se focalisant sur une « alimentation équilibrée ». Mais on fait fausse route car si elle influe sur l’état de santé, elle n’a pas de réel impact sur l’évolution de la silhouette. En revanche, en la privilégiant, on a tendance à prêter davantage attention au contenu de son assiette qu’à ses besoins et ses sensations. Un comportement qui peut entraîner des troubles alimentaires et des carences.
J.-P. Z. : Le rapport au corps est intimement lié à la catégorie socio-professionnelle ; il varie en fonction de celle-ci. Les ouvrières y accordent ainsi nettement moins d’importance que les cadres car il n’a pas réellement d’impact sur leur carrière. Il y a d’ailleurs une très forte cohérence des résultats de ce sondage quand on fait la distinction entre les catégories sociales. Par exemple, si les cadres veillent particulièrement à leur alimentation, je doute que ce soit le cas des ouvrières. Ce n’est pas un hasard si l’on considère aujourd’hui l’obésité comme étant la maladie des pauvres quand la minceur constitue presque un signe extérieur de richesse.
J.-P. Z. : Le fait que 61% des femmes considèrent leur corps comme une part de leur identité montre le poids du regard de la société : avoir un corps harmonieux est un véritable enjeu car, aujourd’hui, on s’exprime à travers lui. La minceur est ainsi devenue synonyme de volonté et de dynamisme, et le surpoids, de paresse et de laisser-aller.
Mais ce corps rentre parfois en contradiction avec l’identité de son propriétaire, devenant alors source de mal-être. Avec des vêtements, au moins, ce dernier pouvait tout de même s’exprimer. En effet, revêtir un costume trois pièces ou un jogging ne véhicule pas le même message. Dans ce cadre, que la société fasse abstraction de l’apparence et ne se préoccupe plus que du corps rend impossible ce mode d’expression. Certaines personnes peuvent alors se sentir enfermées à l’intérieur d’elles-mêmes.
* D’après un sondage exclusif Terrafemina / 20 Minutes / CSA réalisé via Internet du 19 au 27 février 2013. Echantillon de 1045 femmes âgées de 18 ans et plus, issues d’un échantillon national représentatif de 2015 Français âgées de 18 ans et plus, résidant en France, constitué d'après la méthode des quotas (sexe, âge et catégorie socioprofessionnelle), après stratification par région et taille d’agglomération.
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