C'est une régression qui fait beaucoup réagir. Suite au second tour des élections législatives le 19 juin dernier, 215 femmes ont été élues contre 362 hommes. Cela nous donne 37% du total de député·es siégeant à l'Assemblée nationale. Un recul évident : en 2017, on en dénombrait 39 %. Disparité malheureusement prévisible, alors que sur les 6 293 candidat·es du premier tour des élections législatives, les hommes représentaient déjà... 55,8 %. Un recul historique puisque c'est la première fois depuis 1988 que le nombre de femmes députées est en baisse.
Mais comment l'expliquer au juste ? Et qu'est-ce que cela raconte sur le fonctionnement électoral d'un système toujours aussi patriarcal, malgré la recrudescence des mobilisations antisexistes ? Alerte quant à ces enjeux de représentation, l'éditorialiste et podcasteuse Léa Chamboncel, autrice de la passionnante enquête Plus de femmes en politique !, a accepté de faire le point concernant cette situation critique.
Léa Chamboncel : Non, car cette baisse correspond tout à fait au recul de la parité au sein du groupe majoritaire, Ensemble. En 2017, le candidat Emmanuel Macron avait lancé son appel pour que dans la moitié des circonscriptions gagnables ne soient présentées que des femmes candidates. Les femmes représentaient finalement 50,7 % des 524 candidats soutenus par En Marche !.
LREM s'est est beaucoup gargarisée, sauf qu'en 2017, ils n'avaient pas forcément le recul stratégique pour savoir, au juste, quelle circonscription était gagnable ou pas, puisque c'était alors un mouvement qui était encore en création, sans historique politique.
Toujours est-il que cinq ans plus tard, quand on observe les chiffres des femmes élues à l'Assemblée nationale au sein du groupe de la majorité, on constate seulement 40 % de femmes. C'est-à-dire, un recul de dix points. Et c'est énorme. C'est le plus gros recul observé parmi les partis représentés. Cependant, je ne pense pas qu'En Marche s'attendait à une claque pareille aux élections législatives.
L.C. : On observe un changement. Ce qui m'avait beaucoup marquée durant la course à la présidentielle, c'était que la parité n'était absolument pas un thème de campagne, contrairement à 2017 (avec la grande promesse présidentielle), 2012 (Hollande promettait un gouvernement paritaire, ce qu'il a fait) et même l'année 2007 avec Sarkozy (qui avait fait la même promesse, mais qu'il n'a pas concrétisé). Ce n'était pas le cas en 2022, même dans les programmes : la question de la parité n'a pas été mise en avant.
Comme si l'on se reposait trop sur nos acquis, comme si 38 % de députées à l'Assemblée nationale, cela suffisait déjà. Dès cet instant, on pouvait craindre quelque chose : le backlash [théorisé au début des années 90 par la journaliste américaine Susan Faludi, le backlash, ou "retour de bâton", désigne la riposte réactionnaire qui dans l'Histoire succède systématiquement à toute avancée féministe, ndlr].
Mais d'une certaine manière, c'est positif. S'il y a ce retour de bâton, c'est parce que la présence des femmes dans l'espace public et politique est enfin perçue comme une menace pour ceux qui sont en place, ont le pouvoir et craignent de voir leurs privilèges remis en question. Et ça, c'est important pour initier un vrai changement de société.
De la même façon, certes, on observe un recul alarmant du nombre de députées au sein de l'Assemblée nationale, mais aussi l'entrée au sein de l'hémicycle des militantes. Je pense à Sandrine Rousseau, élue députée dans la 9e circonscription de Paris, et à Rachel Keke, élue dans la 7e circonscription du Val-de-Marne [première femme de chambre élue à l'Assemblée nationale, elle fut l'une des porte-parole du mouvement de grève des femmes de chambre de l'Ibis-Batignolles entre 2019 et 2021, initié contre le groupe Accor, ndlr]
Tout ça pèse dans la balance, car ces voix sont autant de formes de résistance. D'autant plus important qu'en face, on trouve 89 députés du RN, et donc, une menace pour les droits des femmes notamment.
L.C. : On se demanderait même si la loi a vraiment été conçue pour être contraignante. Je ne sais pas quels mécanismes on pourrait mettre en place pour assurer son respect. Il faudrait quelque chose de plus dissuasif : faire en sorte que la liste d'un parti ne soit pas enregistrée en préfecture si jamais la parité n'est pas respectée par exemple. C'est ce que l'on observe déjà concernant la parité des listes pour les élections municipales.
A côté de cela, reste encore l'enjeu de savoir si la circonscription investie est gagnable ou pas. Mais ça, on ne peut pas le formuler de manière objective, hors analyse stratégique et calcul politique en interne. On ne peut donc mettre cela entre les mains d'un organisme comme la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, s'assurer que les partis investissent (aussi) des femmes sur des circonscriptions gagnables. C'est impossible à anticiper.
En définitive, il faudrait des lois, mais aussi la volonté politique pour les appliquer au sein des partis, ce qui implique de sortir d'un certain confort. Un groupe comme Les Républicains ne semble pas y accorder beaucoup d'importance par exemple, puisque parmi les députés LR élus, 70 % sont des hommes. On se rend compte, également grâce à des exemples étrangers, que quand il n'y a pas de volonté politique, rien ne bouge.
L.C. : Il y a des circonscriptions qui ont été indéniablement gelées pour des poids lourds, des chevilles ouvrières de la coalition : Horizons, Agir, le Modem. De même du côté de la gauche, il y a énormément de jeunes femmes racisées, comme au sein du collectif On s'en mêle, qui étaient dans les banlieues, les quartiers populaires, et ont finalement été écartées au profit de vieux mecs blancs qui sont là depuis des décennies.
En fait, les partis ont trouvé un moyen légal de contourner la loi sur la parité : investir des femmes sur des circonscriptions qui ne sont pas gagnables. Par exemple, en investissant la Secrétaire d'Etat chargée de la Mer Justine Bénin en Guadeloupe, étant donné les circonstances - le score incroyable de Mélenchon au premier tour de la présidentielle, et le score de Le Pen au second tour - on peut évidemment s'attendre à ce que la candidate ne fasse pas un score miraculeux.
C'était peut-être moins vrai pour la ministre de la Transition écologique Amélie de Montchalin, qui était candidate dans la 6e circonscription de l'Essonne, ou la ministre de la Santé Brigitte Bourgignon, battue dans la 6e circonscription du Pas-de-Calais, deux situations où les choses étaient moins anticipables.
L.C. : Oui, on observe aujourd'hui de plus grandes attentes à ce sujet, ne serait-ce qu'au sein des mouvements politiques - c'est pour cela qu'Emmanuel Macron a nommé Elisabeth Borne Première ministre à la veille des élections législatives, en réponse à l'élan de contestation au sein de son propre parti concernant ces enjeux. Quand bien même Elisabeth Borne est certes une femme, mais pas féministe pour un sou - ses politiques néolibérales impactent les plus faibles et son approche des politiques publiques n'est pas du tout genrée.
On observe toujours, dans notre société, des décalages sociologiques entre nos représentants et représentantes d'un côté, et la population de l'autre. Et un vrai retard. Ca devrait être normal d'avoir une représentante comme Rachel Keke à l'Assemblée Nationale par exemple, elle devrait être là depuis des décennies. C'est pour cela que créer des ponts entre les militantes et les pouvoirs publics est toujours aussi nécessaire.