Car Paris suffit bien deux minutes, Arte nous propose une escale en plein Marseille. Sur le site est disponible toute une partie de l'oeuvre du cinéaste Robert Guédiguian, qui a su comme aucun autre sublimer la cité phocéenne. Ses citoyens, son langage, sa poésie, oui, mais aussi... Ses femmes.
Et un film à (re)voir gratuitement en streaming ici-même en dit long sur cet aspect : Marius et Jeannette, heureusement moins tragique qu'un Roméo et Juliette. Ca raconte quoi ? C'est simple : Marius et Jeannette, prolétaires abimés par la vie, se rencontrent, se chamaillent au début, puis se découvrent, et s'aiment. Sous le soleil, pas de misère, mais des échanges hauts en couleurs avec leurs amis du quartier de l'Estaque.
Dans la peau de la solaire Jeannette, celle qui décoche des sourires à faire s'écrouler les murs mais aussi des coups de gueule contre le capitalisme et l'exploitation, on retrouve l'immense Ariane Ascaride. Aux côtés de ses consoeurs, elle incarne l'âme de ce film intime et politique.
On vous raconte pourquoi...
Voilà un film qui réchauffe le coeur. Gnan-gnan ? Non, simplement tendre, authentique, et très caustique, surtout par ce qu'il dévoile d'une France tout sauf résignée, qui dialogue, s'ouvre à l'autre, lutte contre les discriminations et la bêtise humaine. Bien des personnages de cette chronique marseillaise prennent position contre la haine facile, l'abattement des travailleurs, les préjugés, luttent pour le respect, la grève... L'amour.
Oui, car c'est une romance, et force est de constater que l'amour y est militant. Quand la fille de Jeannette évoque le bonheur de sa mère, elle délivre un véritable discours politique : "Je voudrais qu'elle soit heureuse. Elle le mérite. J'ai presque envie de dire qu'elle y a droit. Que si elle avait pas sa part de bonheur, ce serait comme une injustice"
Il n'y a bien que Robert Guédiguian pour mêler avec tant de vérité les sentiments et l'engagement. On le comprend aussi lorsqu'un personnage, féminin une nouvelle fois, s'exprime l'espace d'un monologue empli de gravité sur la proximité affective qu'elle a éprouvé lors de l'Occupation, comme un besoin urgent d'aimer pour survivre, dans un contexte des plus tragiques. Là, la tendresse se fait devoir de mémoire.
"C'est une histoire d'amour. Pas Sissi et l'archiduc. Non, une histoire d'amour chez les pauvres, là où il n'y a vraiment aucun intérêt en jeu dans le fait de vivre ensemble", décrypte le cinéaste du côté d'ARTE. "Il y aurait plutôt des soucis supplémentaires. C'est un conte : la vie n'est pas comme cela. Croyez-moi, j'en suis conscient. C'est une proposition, une envie de lumière, d'air frais, de bonheur malgré tout possible".
"La cour ressemble à une scène de théâtre : les voisins de Jeannette constituent le choeur antique. Ce qui me permet d'intervenir dans le débat crucial de la recette de l'aïoli, de faire de la publicité pour L'Humanité, d'insister sur le fait que voter Le Pen ne serait-ce qu'une fois est une fois de trop... Bref, de situer dans son contexte actuel cette histoire d'amour"
La manière dont le réalisateur perçoit l'Amour avec un grand A n'a jamais été aussi actuelle. Car aujourd'hui, comme le démontrent les travaux polyphoniques d'Aline Laurent-Mayard, Mona Chollet et Victoire Tuaillon, l'amour est au coeur des luttes féministes. Des combats qui pourraient trouver en Jeannette une formidable égérie !