Ce samedi 17 décembre 2016, TF1 diffusera son traditionnel marronnier de fin d'année : le concours de Miss France. Et comme on ne change pas une équipe qui gagne (l'émission est diffusée à la télévision depuis 1987, après tout), la recette demeure la même : sur un fond de kitsch et de paillettes, de jolies jeunes femmes vont se disputer le titre de plus belle femme de France à grands coups de sourires forcés et de déclarations policées.
Dans cette version collective et audiovisuelle du "Miroir, mon beau miroir, dis-moi qui est la plus belle", on offre en pâture aux spectateurs affamés une belle brochette de poupées dont ils doivent juger le physique.
La question de l'image que cette émission véhicule de la femme est donc légitime : un concours de beauté dans lequel on demande aux téléspectateurs de choisir par SMS après l'épreuve du maillot laquelle des candidates a les plus jolies fesses ne semble pas tout à fait en accord avec les valeurs pour lesquelles les femmes se battent au quotidien. Défilé en maillot de bain, promotion d'une norme de beauté irréaliste et écrasante, valorisation du corps des femmes au mépris de leurs aptitudes intellectuelles et de leurs talents... Oui, le sexisme est bien de retour sur vos écrans demain à 20h55. Joyeux Noël par avance, mesdames.
Un concours de beauté, qui donc, par définition, juge les femmes sur leurs physiques, peut-il être féministe ? La diffusion de Miss France rouvre systématiquement ce débat houleux, et cette année, c'est Osez le Féminisme qui a ouvert le bal. "On choisit les femmes comme on fait ses courses au supermarché", s'est indignée lundi, sur Europe 1, Eléonore Stévenin, porte-parole de l'association. "Encore une fois, le corps des femmes est un objet, comme dans la publicité. Ce sont des corps souvent nus, et l'épreuve du maillot de bain est celle qui est la plus attendue" a-t-elle ajouté.
Bien décidé à dénoncer le sexisme de cette émission, Osez le Féminisme ne s'est pas arrêté là. Claire Serre-Combe, elle aussi militante d'Osez le Féminisme, a torpillé l'émission en dénonçant "la ringardise la plus vive, basée sur une concurrence ultra violente entre femmes" : "Il est très curieux qu'en 2016, on éprouve encore le besoin de mettre en concurrence des femmes non pas sur des critères intellectuels ou des mérites, mais sur des critères purement physiques", a-t-elle expliqué à l'AFP.
Face à cette attaque, Sylvie Tellier, la directrice générale de Miss France depuis 2002, a pris la parole pour défendre son émission : "Depuis quelques années, les Miss France prennent la parole et s'engagent dans de belles causes. Elles agissent aussi pour améliorer la condition féminine. C'est un concours de beauté avec juste une limite de taille. Les critères ne sont pas seulement physiques".
Seulement, un concours de beauté n'a rien d'un outil d'amélioration de la condition féminine, bien au contraire. Miss France ne peut prétendre militer contre le sexisme en faisant la promotion d'une norme de beauté unique et irréaliste et en mettant en avant des corps plutôt que des personnalités, comme un boucher qui expose en vitrine ses plus belles pièces de viande.
Certes, la seule limite physique imposée aux candidates est de faire plus d'1m70. Cependant, à chaque nouvelle édition, toutes les candidates sans exception affichent des corps minces et fermes comme dans une pub Calvin Klein. Si cette année, la dauphine de Miss Italie faisait du 44 pour la première fois, en France, on s'agrippe toujours aux corps façonnés par le monde de la mode et les gourous d'Instagram. "Cette mise en concurrence à une heure de grande écoute, entraîne beaucoup de souffrance pour d'autres femmes qui ne font pas 1,75 m pour 50 kilos", dénonce Claire Serre-Lacombe.
Plutôt que de promouvoir une beauté plus diversifiée et plus réaliste, Miss France embrasse tous les clichés les plus sexistes en la matière. Difficile de libérer les femmes des diktats de la société quand en parallèle, on apprend aux adolescentes angoissées qui regardent l'émission que la beauté est blonde, lisse, maigre, grande et toujours, toujours souriante. Comme le dit très justement la journaliste Carine Bizet dans son article pour Le Monde, "Ce concours est une machine à formater la féminité. Ces filles ont le même physique sain et propret : 1,70 m minimum, une silhouette fine, des seins pas trop gros, des cheveux longs". Et c'est bien dommage.
Les atteintes de Miss France à l'image de la femme ne s'arrêtent malheureusement pas là. Car le concours de Miss France, qui portait à l'origine le nom de "La plus belle femme de France" a été créé par un homme (surprise), Maurice de Waleffe, en 1920. Et au vu du règlement très strict auquel sont soumises les candidates, l'émission a visiblement du mal à se détacher du conservatisme puritain de l'époque. Ainsi, outre des normes de beauté irréalistes, le concours Miss France entretient un culte de la pureté très malsain, en exigeant que ses candidates soient célibataires, sans enfants, et qu'elles n'aient jamais été mariées ou pacsées. Une règle archaïque et extrêmement sexiste, qui repose sur l'idée rétrograde que la valeur d'une femme est liée à sa pureté, à sa virginité. Chez Miss France, on écarte donc les "filles de mauvaise vie", qui n'ont pas attendu chastement qu'on vienne leur poser une couronne sur la tête pour exister.
De la même manière, si les organisateurs de l'émission n'ont aucun scrupule à faire parader les jeunes filles en maillot de bain, ces dernières sont immédiatement éliminées si l'on découvre des photos d'elles dénudées. Cette année, cela a encore entraîné la destitution de la miss Centre-val-de-Loire, Margaux Legrand-Guérineau. Elle a été éliminée après que Sylvie Tellier ait reçu un courrier anonyme comprenant des photos dénudées de la jeune fille, ce qui est un délit selon la loi. Néanmoins, c'est la jeune femme, la victime donc, qui a été punie. Ainsi, le corps des femmes est utilisé et instrumentalisé à l'envi dans Miss France... sauf par les demoiselles en question, qui doivent être des poupées de faïences, jolies, sages et chastes. Ce n'est pas tout à fait l'idée qu'on se fait de la femme en 2017, à vrai dire.
Par ailleurs, bien que les Miss France récitent sagement leur laïus ("Il n'y a pas que le physique qui compte"), l'émission ne met jamais l'accent sur leurs qualités intellectuelles. Certes, elles doivent présenter leurs ambitions, parler de leurs projets, choisir des causes à soutenir... Mais c'est plus une occasion pour le concours de distinguer des candidates aux airs de clones en leur donnant une trame de fond que de valoriser leurs talents : elles aiment toutes le sport, la mode, les animaux, leurs familles, l'humanitaire et le voyage... Quelle surprise. Il serait peut-être temps de cesser d'alpaguer le féminisme pour redorer son image : ce n'est pas une étiquette glamour qu'on peut coller sur tout et n'importe quoi pour mieux vendre.