Monde
Le désir féminin est-il "indécent" ? C'est ce que pense le métro new-yorkais
Publié le 23 mai 2018 à 17:21
Par Marguerite Nebelsztein
Une campagne pour une marque de sex-toys vient d'être censurée par l'entreprise qui gère la publicité dans le métro de New York. Une campagne pourtant très bien pensée et qui montre le deux poids deux mesures quand il s'agit du désir des femmes.
La pub Unbound pour des sex-toys interdite La pub Unbound pour des sex-toys interdite© Laura Callaghan/Unbound
La suite après la publicité

Quand une publicité s'adresse aux hommes et à leurs désirs, il semble que partout dans le monde, cela ne pose aucun problème. Mais quand il s'agit du plaisir des femmes, les esprits sont pudibonds. C'est exactement ce dont il est question dans l'interdiction d'une publicité pour sex-toys destinés aux femmes et aux personnes s'identifiant comme femme dans le métro de New York.

La société Unbound avait lancé une campagne originale où les femmes étaient maîtresses de leur désir et étaient représentées dans leur vie de tous les jours. Cette campagne, qui était la première de la marque dans le métro, partait bien. Elle avait engagé cinq artistes pour la réaliser dans un style qui détonne dans le milieu assez convenu de la publicité. Et pour une fois, ce sont des femmes qui parlaient aux femmes. Mais cela n'a pas plu.

Les raisons officielles du rejet de la campagne par l'entreprise qui gère la publicité dans le métro de New York (MTA) ? "La diffusion de contenu indécent aux mineurs" et l'interdiction qui est faite de "l'exhibition publique de matériel sexuel". Pourtant, le site Buzzfeed a déterré des campagnes de pubs pour de la chirurgie esthétique ou des pilules contre les problèmes d'érection qui n'ont pas eu l'air de choquer la régie publicitaire à l'époque.

Le métro de New York semble avoir un souci avec les publicités destinées aux femmes. En 2015, il avait déjà interdit une publicité pour des culottes spéciales règles qui n'avait rien, mais alors rien, d"indécente".

Comme l'explique très bien l'historienne Michelle Perrot dans Mon histoire des femmes , "on les peint, on les représente depuis la nuit des temps, des grottes de la préhistoire, où l'on ne cesse de déchiffrer leurs traces, aux magazines et aux publicités contemporaines. Les murs de la ville sont saturés d'images de femmes. Mais que nous disent-elles sur leur vie et leur désirs ?". Nous sommes effectivement saturé·e·s d'images qui montrent les femmes mais qui sont victimes du regard masculin (male gaze).
Les illustratrices choquées par cette décision

Polly Rodriguez, la patronne d'Unbound, s'attendait à avoir des soucis pour faire la promotion de son entreprise et avait anticipé en consultant la régie publicitaire. Elle avait alors décidé d'orienter la campagne vers la célébration des femmes plutôt que de faire la promotion directe de ses sex-toys. Le mot d'ordre était pour les artistes chargées de créer les affiches : "Montrez-nous ce que l'amour pour soi veut dire pour vous."

Elle explique au Huffington Post : "Nous sommes déçues par la décision de la MTA d'interdire les entreprises de bien-être sexuel qui satisfont les femmes et les individus qui s'identifient comme femme, de faire de la publicité sur leurs quais [...] Nous avons besoin d'avoir ce type de débats maintenant plus que jamais."

L'une des illustratrices de la campagne de pub, Loveis Wise, a réagi sur Instagram à cette interdiction : "Premièrement, C'EST QUOI CE BORDEL, MTA ? Est-ce que vous pouvez imaginer qu'une magnifique campagne créée pour montrer la positivité du sexe et l'amour de soi-même, sans être ouvertement sexuelle, soit rejetée EN 2018 pour "matériel sexuel obscène", mais des campagnes à propos des dysfonctionnement érectiles masculins peuvent toujours être placées dans le métro ou dans l'espace public ?".

Elle explique plus tard au Huffington Post, : "Nous avons besoin de plus d'images positives sur le sexe, surtout parce que des pans de la société nous enseignent encore à avoir honte de notre auto-plaisir."

Une autre des artistes, Liu-Wong rigole doucement : "Comment des pilules pour soigner le dysfonctionnement érectile, des publicités pour des augmentations mammaires [...] sont moins sexuellement explicites que de l'art illustré qui ne dépeint aucune nudité, pas d'actes sexuels et présente seulement discrètement des objets qu'il faudrait que vous soyez plus vieux pour identifier de toutes façons [...] La plupart des enfants de dix ans ne savent pas ce que sont des chapelets thaïs mais ils peuvent sûrement lire les mots "dysfonctionnement érectile"".

Le cas de cette campagne interdite de métro n'est pas isolé : en Angleterre, il y avait eu le fameux "beach body ready" (corps prêt pour la plage) d'une marque de complément alimentaire en 2015, mais pas plus tard que l'année dernière, une pub pour des collants sur laquelle apparaît une danseuse de dos mais topless s'était faite recaler par le métro de Londres. Pas un bout de sein, mais un peu trop de peau à leur goût. En novembre 2017 c'est une pub représentant des dessins où l'on voit les règles qui choquaient les usagers du métro de Stockholm.

Bref, un étalage de peau et de corps féminin par les hommes et pour les hommes, cela passe. Mais la célébration du corps féminin par des femmes n'est pas possible. Il est temps de changer les représentations des femmes dans les pubs. Pour le sentiment que les femmes ont d'elles-mêmes mais aussi pour l'image qu'on leur renvoie en permanence et à longueur d'affiches.

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