Santé
La chute de cheveux post-partum, un traumatisme qu'on évoque peu
Publié le 29 janvier 2021 à 19:01
Par Pauline Machado | Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
La grossesse vient avec son lot de bouleversements, le post-partum aussi. Parmi eux, une chute de cheveux hormonale conséquente qui touche de nombreuses femmes quelques mois après l'accouchement. Et qui parfois impacte fortement un moral déjà instable.
La perte de cheveux post-grossesse, un traumatisme qu'on évoque peu La perte de cheveux post-grossesse, un traumatisme qu'on évoque peu© Adobe Stock
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Tomber enceinte peut être merveilleux et la perspective d'avoir un enfant nous combler de bonheur. Seulement qu'on se le dise, la grossesse n'est pas toujours le rêve éveillé qu'on tente parfois de nous vendre, à grand coup de non-dits sur les tracas réels de cette période (interminable) de neuf mois.

Exemple parmi tant d'autres : les nausées matinales qui durent en fait toute la journée, ou les reflux gastriques qui transforment le moindre aliment qui aurait échapper à nos relents en une source de rots enflammés et incontrôlés. "C'est pour la bonne cause", se martèle-t-on en noyant nos soucis dans un jus de tomate qu'on regrettera plus tard, nos pieds relevés sur le canapé pour éviter qu'ils finissent par ressembler à nos cuisses.

On en conviendra : c'est quand même moins glam' que la vision quasi mythologique de la femme au ventre parfaitement arrondi qu'on a pu voir dans à peu près toutes les comédies romantiques, dont le "glow" incomparable éblouit ses pairs. Heureusement, toutes les bonnes choses (non) ont une fin.

Mais voilà, après l'accouchement (la "délivrance" disaient nos grands-mères, peut-être un indice de ce qui nous attendait), une nouvelle ère démarre : le post-partum. Des semaines pleines de surprises hormonales inévitables couplées à un manque de sommeil indescriptible. Notre corps ramasse, on peine à retrouver une forme correct et à cela s'ajoute l'apprivoisement quotidien du petit être incroyable qu'on vient de mettre au monde. Et puis à un moment donné, on perd nos cheveux.

Ou en tout cas, une majorité des femmes perd ses cheveux. D'après le Dr Bruno Matard, dermatologue spécialiste du cuir chevelu à l'Hôpital Saint-Louis, à Paris, ce phénomène dure de deux à trois mois et s'explique par "une déprivation hormonale qui tient au fait que la sécrétion d'oestrogène qui maintenait de manière artificielle les cheveux en phase de pousse, s'arrête. Du coup un grand nombre de cheveux passent en phase de chute."

Dans cette majorité, il n'y a peut-être pas vos soeurs, ni vos tantes, ni votre mère. Ou alors elles ne vous en ont pas parlé. Parce que ce genre d'effets secondaires est rarement évoqué. Mais il y a moi. Et un paquet d'autres jeunes mamans qui se sont retrouvées complètement désemparées en regardant ces mèches entières leur filer sur les doigts, avant de s'engouffrer dans le tuyau de la douche. Plus tard, il y en aura sur le canapé, dans les couches (si,si), dans la bouffe, dans le lit. Partout. Jusqu'à créer une obsession pas franchement bienvenue au moindre cheveu disparu.

La goutte d'eau
La perte de cheveux post-partum touche la majorité des femmes. © Adobe Stock

C'était il y a un an. Je me souviens précisément du moment où je m'en suis rendu compte et je me souviens précisément de ce que j'ai ressenti. J'avais pris connaissance de cette conséquence de la grossesse, aussi baptisée effluvium télogène du post-partum, quelques mois plus tôt, et j'espérais passer entre les gouttes. Manque de bol, un soir de début mars pré-confinement, quand on pensait encore que boire un verre au bar du coin était un plaisir acquis pour toujours, mon heure capillaire a sonné.

Ce soir-là, ma fille de quatre mois était en train de jouer par terre dans le couloir devant la salle de bain avec son père, et moi, en train de me laver la porte ouverte (un concept qu'on est forcé·e de perfectionner une fois à trois). Je testais un nouveau shampoing qui sentait bon, je démêlais mes noeuds avec les doigts et l'eau chaude n'était pas encore arrivée à expiration. Tout allait bien dans le meilleur des mondes. Jusqu'à ce que je sente une mèche récalcitrante, que je tire, et qu'elle se détache de mon crâne. Je regarde ma main, le sol : elle n'est pas seule.

En fait, elles sont des dizaines de groupe de quinze cheveux environ à squatter la faïence plutôt que ma tête. Plus j'y passe ma main, plus ça tombe, et plus ça tombe, plus j'y passe ma main pour voir si ça s'arrête. Un réflexe inefficace au possible, je le concède volontiers, mais pas vraiment contrôlable sur le moment. Ce qui m'échappe aussi, ce sont les sanglots qui coulent le long de mes joues sans que je puisse y mettre fin. Je suis debout, à poil, les yeux rivés par terre, et je craque.

Je craque parce que j'ai déjà perdu mes cheveux deux ans auparavant à cause du stress et que ça m'a foutu un sacré coup, un mini trauma qui me file encore des frissons et que je veux pas revivre. Je craque parce que j'avais enfin réussi à tout faire repousser, et que je sens que je suis repartie pour plusieurs années. Je craque parce que je suis crevée, que je reconnais pas trop mon corps et que c'est un nouveau truc physique à accepter. Je craque parce que ma vie change et que je ne sais pas si j'étais vraiment prête, en fin de compte.

Je craque et j'en veux aussi à mon mec. Je lui en veux de ne pas pouvoir m'épargner ça. D'être la seule à pouvoir tomber enceinte (aussi chanceuse je sois) parce que je suis une femme hétéro, et de savoir que ça recommencera forcément d'ici peu puisqu'on souhaite plusieurs enfants. Pourtant, il est merveilleux. C'est un père et un conjoint formidable. Mais à ce moment-là tout me semble injuste.

J'essaie de relativiser : c'est un détail comparé à d'autres maux bien plus profonds expérimentés par d'autres jeunes mamans. Et un détail comparé à d'autres maux bien plus profonds que j'ai moi-même expérimentés. Mais j'y arrive pas. Et à lire les témoignages de femmes dans mon cas, je ne suis pas seule à paniquer.

Un détail qui n'en est pas un

"Entre les bouleversements hormonaux et psychologiques qui ont déjà lieu pendant la grossesse, et plus encore après l'accouchement, il suffit que l'on se focalise sur quelque chose pour que cela prenne une ampleur pas possible", nous explique Caroline Le Roux, psychologue et sexologue en région parisienne, lorsqu'on l'interroge sur les raisons qui font que cette chute de cheveux impacte autant certaines mères. "Là, ce quelque chose fait partie de la féminité. Court ou long, c'est un apparat, la chevelure, un atout de séduction. C'est ce qu'on voit aussi en premier." Et puis, on nous définit tellement ainsi, admet-elle, qu'on finit par l'intégrer.

La spécialiste l'affirme : "Même si personne d'autre que nous ne voit cette chute, elle peut être compliquée à vivre. Déjà qu'il nous faut du temps pour retrouver notre corps après l'accouchement, qu'on est fatiguée, alors si on voit des cheveux partout dans la maison, cela peut même contribuer à une dépression." Voire, nous faire questionner notre habilité à s'occuper de notre bébé. "Tout se passe dans l'apparence et l'estime de soi", poursuit Caroline Le Roux. "Si on ne s'aime pas, on va avoir une mauvaise estime de soi, et on peut finit par se sentir nulle en tant que mère. Alors que ça n'a rien à voir."

L'une des fautives selon elle ? "La société qui est hyper sexualisée et culpabilisante". Elle déplore : "On doit être une super femme, une super maman, une super professionnelle. Seulement ce n'est pas possible". Alors, que faire pour aller mieux, et essayer de prendre son mal en patience ?

Reprendre le contrôle

Déjà, se nourrir de conseils qui ne se contentent pas d'un "ça va repousser", peut-être bienveillant, mais pas vraiment efficace à l'instant T. "Ce n'est pas ce qu'on veut entendre", commente l'experte. A la place, avise-t-elle, on agit. "La première chose, si cela nous affecte autant, serait de prendre le problème à bras le corps, en se renseignant auprès de pharmacies, en demandant si des oligo-éléments, des vitamines existent par exemple. En se rendant chez le coiffeur aussi, pour celles qui peuvent, afin de se retrouver autrement que comme on se voit là." Elle insiste : "Ça nous fait du bien, de se faire chouchouter, seule."

Ces petites actions qui semblent anodines permettent en réalité "d'avoir l'impression de retrouver une forme de contrôle, de ne pas être 'passive'", explique Caroline Le Roux. "D'être dans l'action plutôt que de subir."

La spécialiste invite enfin à se convaincre d'une forme de normalité dans cette chute de cheveux et dans les émotions qu'elle engendre. Se rassurer en se rappelant "que ça ne touche pas que soi", mais une majorité de femmes. Et surtout, à se livrer. A en croire la société, "les jeunes mamans n'ont pas le droit de se plaindre, alors qu'elles devraient", encourage-t-elle. "On devrait avoir le droit de dire qu'on en a marre, qu'on est épuisée, qu'on a besoin que quelqu'un d'autre s'occupe de notre bébé un moment." Des paroles réconfortantes et essentielles.

De mon côté, si presque un an après la crise de nerf sous le pommeau, mes cheveux sont encore en partie composés d'épis difficilement domptables, j'ai finalement réussi à relativiser en saisissant l'occasion pour prendre davantage soin de moi. Une sensation de contrôle, comme l'évoquait l'experte, qui m'a aidée à ne pas flipper à chaque coup de brosse, et à petit à petit lâcher la pression. Aujourd'hui, je suis quand même fébrile à l'idée que ça puisse recommencer. Mais en regardant ma fille et son sourire à (désormais) huit dents, je me dis que j'en suis sûre : je m'en remettrai.

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