Il n'est pas rare qu'un artiste s'inspire des facettes les plus sombres de l'être humain dans un but créatif. En juin 2013, le magazine Vice avait ainsi fait scandale avec une série mode inspirée des auteures suicidées. Cette fois, c'est le photographe Fabien Baron qui est peut-être allé trop loin. Dans le cadre du numéro de novembre du magazine américain Interview, le photographe français a imaginé une série de photos baptisée Pretty Wasted, soit « Jolis déchets » en français. Et si ses modèles y posent vêtus de robes de grands créateurs, parmi lesquels Marc Jacobs, Prada, Versace ou encore Saint-Laurent, elles ressemblent malgré tout à des souillons. Et pour cause, les clichés semblent avoir été pris dans des ruelles sombres au sol encrassé jonchés de canettes de bière éventrées et de bouteilles d'alcool vides. Quant aux mannequins, elles gisent, parfois à même le sol, au milieu de ces amas de détritus, feignant l'inconscience, robes remontées en haut des cuisses et collants largement effilés.
'Pretty Wasted' Interview Magazine, October 2014 pic.Twitter.com/wf77ZouNzp
— Glam Inside (@GlamInside) 21 Octobre 2014
Forcément, ces photos ne sont pas passées inaperçues. Dès leur mise en ligne sur le site Internet fashionscansremastered.net, des voix se sont élevées pour dénoncer cette sexualisation de femmes inanimées et à la limite du coma éthylique. « Franchement, je ne saurais dire si ce positionnement éditorial est supposé être sombre et provocant, ironique et bohème ou simplement stupide », a notamment réagi Marika Kazimierska, journaliste chez designntrend.com. Professeur assistante en communication et relations publiques à l'Université George Washington, Patricia Phelan est, quant à elle, bien plus virulente. « Ces images ont l'air d'avoir été créées par des personnes qui détestent les femmes », a-t-elle expliqué à Yahoo Style. Et de poursuivre : « L'industrie des médias est notoirement sexiste – dans le contact qu'ils créent aussi bien que dans les environnements de travail auxquels les femmes sont soumises. Quant à ces images, elles renforcent le message de notre société : la vie humaine ne vaut rien, pas plus que les femmes. »
“pretty wasted” pic.Twitter.com/CRjKSF3Osk
— bandera mexicana (@laqerfeld) 25 Octobre 2014
Sur Twitter également, les internautes ont vivement condamné ce shooting. Davi Rutenberg, une artiste et auteure américaine a ainsi rappelé que les femmes ne peuvent — et ne doivent – être réduites à l'état d'objets glamour, tandis qu'une autre utilisatrice du site de micro-blogging déplorait la volonté du photographe de « choquer » dans l'unique but « d'impressionner ».
Not just commodities-glamorized depictions of victims. @rebeccapearson via @Telegraph @InterviewMag #RapeCulture pic.Twitter.com/G5xNc4nLaP
— Davi Rutenberg (@oneoftheDavi) 17 Octobre 2014
Interrogée par Le Figaro Madame, Virginie Sasson ne voit pour sa part dans ce shooting qu'un mauvais coup de pub. « Une campagne polémique est une vraie arme marketing. C'est la tendance du "bad buzz" », analyse en effet cette docteure en sciences de l'information et de la communication. « Sous couvert de second degré ou d'esthétisation, on arrive à faire passer des contenus très violents. En s'appropriant des codes vulgaires et en réhabilitant des comportements à la marge de la société et de la légalité, on veut se donner une image rebelle et subversive », observe-t-elle.