Sylvianne Spitzer : On a encore très peu d’éléments en mains, et c’est sans doute une volonté des forces de l’ordre de ne pas tout dévoiler ; elles ont d’ailleurs raison sur le principe. Ce qu’on a compris, c’est que l’on a affaire à un tueur qui a prémédité, planifié ses actes. On peut repérer un mode opératoire : le vol d’un scooter qu’il aurait repeint [noir pour les militaires, blanc pour la fusillade de l’école juive ndlr], ou de plusieurs scooters, le choix d’un point de stationnement permettant de bien voir ses victimes, le port d’un casque, non seulement pour cacher son identité mais aussi pour éviter toute perte de cheveu, et donc toute trace d’ADN. Apparemment, il aurait gardé sa visière baissée lors de la tuerie des militaires, ce qui manifeste une maîtrise réelle des armes.
S.S. : La présence d’une caméra laisse penser que le tueur a l’intention de diffuser ses crimes, pas sur internet, parce que ce serait le meilleur moyen de se faire prendre, mais peut-être à un groupe qui le soutient, et qui l’a poussé à l’action. Il peut aussi s’agir de l’acte isolé de quelqu’un qui recherche « l’héroïsme ». En tout cas, on n’a pas là un tueur de masse, qui tire dans le tas et en une seule fois, comme à Columbine. Ce n’est pas non plus un tueur à la chaîne (« spree killer »), qui tue en plusieurs temps, se déplace beaucoup et tire aussi dans le tas. Dans notre cas, le tueur a soigneusement sélectionné ses cibles.
S.S. : C’est très difficile de répondre à ça. Certaines cibles lui ont-elles servi à s’entraîner ? D’autres sont-elles symboliques ? En a-t-il choisi certaines pour brouiller les pistes ? Peut-être s’en prend-t-il à n’importe qui pour créer la panique sociale. Il est possible qu’il ait commencé par des militaires, des cibles difficiles, pour se faire la main et flatter son ego. Puis il est passé à des cibles plus faciles : des civils, un adulte, et enfin des enfants, c’est-à-dire les personnes les plus fragiles de la société. On touche là la corde sensible, l’émotionnel pur. Ce que je relève également, c’est la volonté du tueur d’aller au contact [la petite fille du directeur a été tirée par les cheveux avant d’être tuée à bout portant ndlr], de sentir ses victimes mourir. Il y a une escalade dans sa recherche de sensations.
S.S. : C’est un peu facile, me semble-t-il, de tout ramener au néonazisme ou à des problèmes religieux ; c’est simpliste et insuffisant. Peut-être le tueur a-t-il choisi cette école parce que son accès était facile. C’est aux enquêteurs de déterminer, par ailleurs, s’il y a un lien entre les tueries et le 50e anniversaire des accords d’Evian, mettant fin à la guerre d’Algérie. Le choix d’agir en pleine campagne présidentielle n’est pas non plus anodin. Mais le message du tueur n’est pas facilement décryptable, même s’il doit être évident pour lui. J’ignore s’il va dévoiler ses motivations réelles. On peut avancer plusieurs pistes comme la volonté par exemple de créer à travers sa traque une réunification nationale.
S.S. : C’est le plaisir du jeu du chat et de la souris, décuplé par la médiatisation. Plus on parle de lui, plus on valorise son ego. On voit bien qu’il joue avec les forces de l’ordre. Il aurait pu se faire arrêter en pénétrant dans l’école. Il augmente sa prise de risques. La montée en puissance de ses actes donne aux enquêtes une tout autre envergure que si on en était resté à la première tuerie des militaires. On va vers un risque de récidive, vers un acte encore plus parlant, plus voyant.
Entretien réalisé par Elodie Vergelati
Crédit photo : AFP
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