Sarah a les pieds sur terre, mais la tête dans le cosmos. Son rêve ? Partir dans l'espace. Après des années d'entraînements acharnés, elle est sur le point de toucher au but : elle fera partie d'une mission spatiale d'un an. La voilà embarquée dans une spirale de protocoles millimétrés, d'exercices intensifs, de petites remarques bien sexistes (car une femme dans l'équipage, ça pique les egos masculins). Et surtout, Sarah va devoir composer entre la préparation de la mission de sa vie et son rôle de mère. Car en quittant la stratosphère, elle s'apprête à laisser sa petite fille de 8 ans.
Faire un film d'espace... sur Terre, telle est la belle idée de la réalisatrice Alice Winocour (Augustine). En s'ancrant fermement dans le réel, Proxima se pose comme un anti-Gravity ou Alien. Ici, pas de vision terrestre post-apocalyptique, de pannes de réacteurs ou de monstres planqués dans un vaisseau. Mais une héroïne familière au destin extraordinaire (Eva Green, magnifique en amazone des temps modernes) qui navigue dans un univers (encore trop) taillé pour les hommes et qui tente de cohabiter avec ses failles, ses attaches et une charge mentale aussi pesante que le scaphandre trop lourd qu'elle doit enfiler.
A travers ce compte-à-rebours palpitant jusqu'au décollage, Alice Winocour livre le portrait intime d'une super-héroïne infiniment humaine et une vibrante déclaration d'amour à notre Terre-mère. Rencontre avec une réalisatrice féministe qui n'aime rien tant que bousculer les codes et réinventer les modèles trop exigus.
Alice Winocour : J'étais fascinée petite par l'espace mais c'était une fascination un peu poétique. Je ne connaissais rien à ce monde. J'ai décidé d'aller à Cologne à l'Agence spatiale européenne pour voir comment c'était dans la réalité. J'a rencontré des astronautes, des entraîneurs femmes et hommes. Et je me suis rendue compte que toutes ces années d'entraînement, on ne le voyait que rarement dans les films d'espace : ça commence plutôt par 5 minutes sur Terre et on cherche un lieu de vie bis.
J'ai voulu inverser le regard parce que la Terre est le seul lieu de vie possible dans l'Univers : c'est ce que rapportent les astronautes . D'ailleurs, ils doivent "muter" pour devenir des "space persons". C'est un entraînement très dur où l'on grandit de 5 à 10 cm, les poumons s'abîment, les cellule vieillissent... Ce n'est pas simple de quitter la Terre, pour beaucoup de raisons. Il faut se "sevrer".
Je me suis donc dit que j'allais écrire là-dessus et inscrire mon film dans une veine intime autour d'une relation que pour le coup, je connais très bien puisque je suis moi-même mère d'une petite fille de 8 ans. Et ce que je trouvais beau avec ce personnage d'astronaute femme, c'est que la problématique de la séparation avec sa petite fille résonnait avec la problématique de la séparation avec la Terre.
A.W. : Oui, c'était très important car je voulais montrer un personnage de "super-héroïne mère". Parce que j'ai l'impression que les super-héroïnes au cinéma ne sont jamais représentées avec des enfants, alors que dans la réalité, les mères ont du travail et elles doivent jongler avec les deux. Et je voulais montrer à quel point c'était difficile pour les femmes. Si le cinéma ne s'est pas encore emparé de ces questions, c'est parce que les femmes elles-mêmes sont très silencieuses sur ce sujet. Elles se taisent parce qu'elles ont intégré l'idée que dans le monde du travail, le fait de parler de ses enfants, est encore considéré aujourd'hui comme une faiblesse.
Quand on dit qu'on a des enfants au travail, on est suspectée d'être moins productive, moins concentrée, de prendre des vacances... De fait, on n'en parle pas. Et les astronautes comme les autres femmes doivent perpétuellement vivre avec ce sentiment de culpabilité relié à cette construction sociale de la "mère parfaite" à laquelle on est toutes sommées de ressembler. Je pense que ça pèse assez lourd sur les épaules des femmes.
Donc il y a à la fois les obstacles extérieurs comme la difficulté de se faire accepter dans une équipe d'hommes et les obstacles intérieurs qui viennent de ce conditionnement qui pousse les femmes à s'autocensurer, à ne pas se sentir légitimes à faire le métier dont elles rêvaient, comme si elles devaient choisir entre carrière ou enfants. Une astronaute, Julie Payette, aujourd'hui gouverneure du Canada, m'a dit que pour elle, la meilleure école pour être astronaute avait été d'être mère. C'est comme ça qu'elle avait découvert le multitasking !
A.W. : Oui, et il le fait très bien. C'est ça aussi qui est intéressant dans ce parcours de libération : les hommes trouvent leur place dans cette réorganisation des rôles. Au départ, la petite fille ne connaît pas bien son père parce que cette image de la mère parfaite est aussi très lourde à gérer pour les enfants. Elle est prisonnière du rêve de sa mère, tout tourne autour de ça. Elle découvre ce père qui était un peu tenu à l'écart. Il ne fait pas à la manière de la mère, il fait à sa manière et c'est très bien comme ça.
Le parcours d'émancipation de la petite fille est pour moi aussi très important. Elle reste sur Terre, sa vie est sur Terre, sa mère est dans l'espace. C'est un peu comme dans les contes : la vie des enfants commence au moment où la mère meurt.
A.W. : Le féminin fait encore peur. Et j'avais une volonté de montrer tout cela. Les règles, c'est quelque chose qu'on a tous les mois et dont on ne parle pas, même pas entre femmes. Beaucoup d'astronautes, notamment des Américaines se sont battues pour garder leurs règles dans l'espace et leurs cheveux longs aussi, même si ce n'est pas très pratique. Pour elles, c'était important de partir dans l'espace "comme des femmes".
A.W. : C'est le genre de petites phrases que l'on peut subir tous les jours, oui. C'est très symbolique lorsqu'elle arrive à la base : il y a cette Russe qui lui parle de Valentina Terechkova, la première femme qui est allée dans l'espace et qui a donné son nom à un cratère sur la face cachée de la Lune. Elle lui dit : "J'espère que toi, tu donneras ton nom à un cratère de la Lune, mais sur la face visible !"
A.W. : J'ai mis deux ans à écrire le scénario, j'ai été à l'Agence spatiale européenne, j'ai été dans la base militaire près de Moscou, à Baïkonour pour voir un vrai décollage de fusée... J'ai écrit le film avec ces astronautes, avec ces entraîneurs. Thomas Pesquet est l'un des parrains du film, je l'ai rencontré avant son départ, l'astronaute Claudie Haigneré aussi. Tout ce qu'on voit dans le film est inspiré par ce qu'ils m'ont raconté. Il y a des réflexions assez métaphysiques aussi comme cet astronaute qui enregistre les bruits de la Terre avant de s'envoler. Ou des choses très concrètes comme ces lettres qu'on doit écrire aux enfants parce qu'on n'est pas sûr qu'on va revenir.
Ma satisfaction : ces astronautes ont été touchées par le film. L'une d'elles m'a dit qu'il montrait qu'on pouvait être "une bonne mère et une bonne astronaute".
A.W. : J'écris l'histoire que j'ai envie de raconter et il se trouve que cette histoire n'avait jamais été racontée. Donc c'est aussi intéressant de produire des films qui n'ont pas été racontés : c'est ce que les gens cherchent. Il est temps que le cinéma s'empare de ces aspects inconnus de la vie des femmes.
La plus grande égalité dans le cinéma, ça sera quand il y aura autant de regards féminins que masculins et qu'on ne sera pas sommé.e.s de se définir par rapport à notre genre. Par exemple, lorsque j'ai fait mon deuxième film, un film d'action avec des scènes de violence, j'avais eu des réactions d'étonnement, comme si les réalisatrices devaient se cantonner à un registre de l'intime. Alors qu'on devrait être libres !
A.W. : Oui, on parle beaucoup du milieu du cinéma parce que c'est celui qui est le plus visible, mais ce que je trouve intéressant, c'est que cette libération de la parole est quelque chose qui touche tous les milieux et qui fait changer le système de l'intérieur.
J'ai des amies qui ont été agressées sexuellement, qui se sont rendues dans des commissariats et c'est intolérable que la parole des femmes ne soit pas mieux accueillie dans ces lieux d'écoute. Les débats actuels peuvent changer la société en profondeur à la fois dans ces commissariats, dans les tribunaux... Ce qui est en train de se passer me donne de l'espoir, pour les femmes et hommes.
Proxima
Sortie en salles le 27 novembre 2019
Un film d'Alice Winocour
Avec Eva Green, Matt Dillon, Lars Eidinger...