Des assiettes trop peu remplies, pas assez variées ou mixées et peu appétissantes? Les repas dans les Ehpad, à l'image souvent dégradée, sont un sujet sensible auquel les établissements assurent veiller, une attention accrue depuis le scandale de 2022.
Proposer un menu adapté, suffisant, qui donne envie, sans trop faire grimper l'addition: le défi est de taille pour un secteur dont une partie est financièrement dans le rouge.
Dans son livre-enquête "Les Fossoyeurs" (2022) portant sur les pratiques d'Orpea pour maximiser ses profits, Victor Castanet avait jeté une lumière crue sur l'alimentation dans des maisons de retraite médicalisées, en détaillant la façon dont ce groupe privé rationnait les repas.
Rebaptisé Emeis, le groupe assure aujourd'hui avoir fait de cette question une priorité en augmentant de 35% son budget dédié aux fournitures alimentaires après le scandale.
Au-delà du respect des "grammages", le directeur médical d'Emeis, Pierre Krolak-Salmon, gériatre, souligne la nécessité "d'accompagner la personne âgée dans l'appétit, l'envie de manger", qu'elle perd avec l'âge.
Et ce via différentes initiatives: favoriser la convivialité, la présentation des plats et l'individualisation en fonction des goûts ou du degré d'autonomie - avec par exemple, pour ceux qui le peuvent, courses au marché et préparation du pain. Ses chefs suivent une formation auprès de Ducasse Conseil.
Même politique revendiquée chez Clariane. Cet autre groupe privé, qui gère les Ehpad Korian, avait également été mis en cause il y a deux ans par une enquête du magazine télévisé "Cash Investigation", qu'il avait contestée.
Ce groupe explique privilégier les produits frais, de saison et de proximité, préparés par les cuisiniers de chaque établissement. Il a noué depuis 2018 un partenariat avec Gault & Millau pour améliorer ses prestations.
La somme allouée aux aliments est généralement de 5 à 6 euros par jour par résident dans les Ehpad, un montant qui triple lorsqu'on ajoute les frais liés (personnel, matériel...), selon les acteurs interrogés.
Une équation compliquée par la forte inflation de ces deux dernières années, même si les achats de gros permettent de réduire les tarifs.
Dans le secteur public, où près de 85% des Ehpad ont enregistré un déficit en 2023, les directeurs ont "beaucoup de mal", "face aux budgets trop limités" fixés par les pouvoirs publics, même s'ils se refusent à rogner sur l'alimentation et à "compter les biscottes ou les croûtons", explique Pascal Champvert, vice-président de l'AD-PA (Association des directeurs au service des personnes âgées).
Ces déficits peuvent faire que les résidents "mangent des choses un peu moins chères", confirme Philippe Wender, qui vit dans une résidence pour seniors à Sucy-en-Brie (Val-de-Marne) et préside l'association de personnes âgées Citoyennage.
Les situations sont très diverses selon les établissements, souligne Bernadette Ojardias, présidente de "Familles de résidents en Ehpad" (FAREE).
Des témoignages qu'elle a recueillis, elle pointe le manque de produits frais, notamment de fruits, l'insuffisance des collations (souvent des gâteaux sous vide) et, dans certains établissements, le passage très rapide au mixé - "sans odeur, ni saveur" et "pas appétissant" - même pour les résidents qui pourraient manger de petites bouchées.
Un passage normalement décidé sur prescription médicale pour éviter des fausses routes, mais qui est parfois lié, note-t-elle, à un manque de personnel dans un secteur qui peine à recruter. Car il faut du temps pour couper les aliments et attendre que les pensionnaires mâchent.
Or, l'alimentation est "un vrai soin qu'on peut apporter" aux résidents, alors qu'"on estime que jusqu'à près de 40% sont dénutris lors de leur admission en Ehpad", vers 86 ans en moyenne, souligne le Dr Priscilla Clot-Faybesse, directrice médicale territoriale de Clariane France.
La dénutrition induit un affaiblissement du corps, qui augmente la possibilité de chutes et d'infections. Pour l'éviter: outre de l'exercice (le plus souvent, vu l'âge, une simple mise en mouvement des muscles), il faut le bon apport en calories, avec un accent sur les protéines et le calcium.
Selon Bernadette Ojardias, pour permettre aux familles de se rendre compte de la situation en termes de nourriture et d'aide, il faudrait les autoriser systématiquement à assister aux repas - choix qui dépend aujourd'hui de chaque établissement.
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