Société
Rock'n viols : la sombre réalité des agressions sexuelles dans les festivals anglais
Publié le 28 août 2015 à 19:17
Par Catherine Rochon | Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
Glastonbury, Reading, V Festival... Depuis quelques années, les plus grands festivals de musique anglais sont entachés par une vague d'agressions sexuelles. Un phénomène qui semble prendre de l'ampleur alors que les organisateurs trop frileux peinent à saisir la gravité de la situation.
Festival Glastonbury 2015, le 28 juin 2015. Festival Glastonbury 2015, le 28 juin 2015. © BestImage
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Une bière à la main, Doc Martens ou bottes de pluie aux pieds, couronne de fleurs sur la tête, ils sont chaque été des milliers d'amateurs de musique à fouler les pelouses des très cotés festivals de rock anglais. Mais derrière l'atmosphère insouciante et l'apparente harmonie de ces joyeuses tribus de potes venues communier au son des artistes les plus hype du moment se dessine une réalité plus sombre. Le week-end dernier (21 août), une quarantenaire se faisait violer sur le site du V Festival, dans l'Essex. Depuis, son agresseur de 21 ans a été arrêté. Et ce sordide événement n'est pas un cas isolé. Un mois plus tôt, une autre femme rapportait avoir été abusée au Secret Garden Party à Cambridge. Un homme se serait introduit dans sa tente en plein milieu de la nuit. De quoi faire glacer d'effroi tous les festivaliers venus s'enivrer de décibels. "Le simple fait de penser que quelqu'un est en train de se faire violer à quelques tentes de moi m'a rendu malade", confesse ainsi un habitué au Telegraph.

Peut-on parler d'épidémie ? En tout cas, la violence sexuelle semble aujourd'hui faire partie intégrante de ces grands rassemblements populaires. Sarah n'avait que 16 ans lorsqu'elle a été violée par un inconnu lors d'un festival. Après avoir essayé l'ecstasy avec ses amis, elle a décidé de retourner à sa tente. C'est là qu'elle a croisé le chemin de son bourreau : après avoir flirté avec elle, il l'accompagne jusqu'à son campement. "D'abord, c'était consensuel. Mais il a commencé à écarter mes jambes au point que j'ai cru qu'elles allaient se briser. Je lui ai demandé d'arrêter plus de trois fois, mais il a continué. Tout ce que j'ai pu faire, c'est attendre que cela se termine...", confie-t-elle à Broadly.

Festival de Glastonbury en Angleterre, le 28 juin 2014 © BestImage
Des organisateurs trop frileux

Consommations d'alcool ou de produits stupéfiants (la police anglaise a noté l'émergence du gaz hilarant à usage récréatif), amplis poussés à bloc, foule surexcitée et désinhibée... Un cocktail explosif qui offre aux prédateurs une occasion rêvée de se jeter sur des proies vulnérables, parfois saoules, perdues ou isolées de leur groupe d'amis. Cette année encore, au mythique Glastonbury, trois agressions sexuelles ont été signalées. En 2014, une jeune femme de 19 ans avait été violée dans une caravane au festival de Reading, tandis qu'un homme suspecté d'avoir attaqué des festivalières au Wilderness en 2013 vient d'être arrêté. Et ces quelques cas ne constitueraient que la partie émergée de l'iceberg, 85% des victimes de viol renonçant à porter plainte auprès des autorités outre-Manche.

Un véritable fléau auquel Dave Boardman a décidé de s'attaquer. Il est à la tête de la campagne White Ribbon Music Project, qui vise à impliquer tous les grands festivals, les organisateurs, les groupes et les producteurs afin qu'ils se mobilisent contre la violence faite aux femmes. La pétition a déjà recueilli plus de 22 393 signatures, mais les festivals les plus courus n'ont pas encore sauté le pas. Un désengagement inacceptable pour Boardman pour qui il y a urgence à agir face à la situation pandémique. Son voeu pieux ? Que les organisateurs trop frileux entreprennent enfin un travail de sensibilisation, offrent plus de soutien aux victimes au lieu de tenter d'enterrer ces tragédies qui pourraient entacher leur réputation. "Ils pensent souvent que c'est de la mauvaise publicité au lieu de se dire 'réglons ça' lorsqu'une agression sexuelle a lieu. On leur dit que c'est justement de la bonne publicité pour eux de dire : 'Nous faisons ce qu'il faut pour assurer la sécurité des femmes et faire en sorte que les hommes les protègent aussi'".

Une opinion partagée par Fleur Gardiner, en charge des abus domestiques pour le conseil de l'Ile de Wight, qui tiendra un stand de prévention et de soutien au Bestival (où une ado de 15 ans avait été abusée sexuellement en 2011) dans quelques semaines. "Certains festivals se méfient peut-être des campagnes de prévention car cela suggère que leur événement a un problème", analyse-t-elle pour the Telegraph. "Ils doivent penser que cela ne montre pas une image familiale des festivals, alors que cela prouverait au contraire qu'ils sont très responsables."

Une culpabilisation des victimes ?

Problème : lorsque les festivals s'emparent enfin de la question, le message est ambigu voire dévastateur.

Ainsi, le site internet du festival Latitude, où deux cas de viols avaient été signalés en 2010, délivre une poignée de conseils de sécurité en prenant bien soin de ne jamais citer les mots "viol" ou "agression sexuelle" : "Gardez vos esprits- ne buvez pas trop et ne prenez pas de drogue", "Soyez vraiment clair à propos de ce pour quoi vous dites 'oui' ou 'non'", "Si vous rencontrez quelqu'un que vous ne connaissez pas, prenez une photo de cette personne avec votre portable et envoyez-la par SMS à un ami".

Des consignes qui font fulminer Nathalie Gordon, fondatrice de la campagne pour le consentement #ThisDoesn'tMeanYes. "C'est quoi ce bordel ? En gros, on dirait qu'ils disent 'si vous ne suivez pas ces règles, il va vous arriver des bricoles...' et que donc, tout cela est de votre faute", explique-t-elle à Broadly. En pointant du doigt les potentiels comportements "à risque", ces injonctions décourageraient les victimes à porter plainte, celles-ci craignant d'être étiquetées comme irresponsables.

Fans pendant le concert d'Ellie Goulding au V Festival le 22 août 2015 © BestImage
Ne pas tomber dans la psychose

Pour se prémunir de tout abus, les festivalières auraient-elles à sombrer dans la paranoïa alors qu'elles avaient acheté leur billet pour s'éclater le temps d'une parenthèse rock ? "Les femmes (comme les hommes) ont tous les droits de faire des choix peu raisonnables. Elles peuvent être bourrées, se déshabiller, danser avec des gens qu'elles ne connaissent pas sans être violées ou agressées à cause de ça", tranche Fleur Gardiner auprès de Broadly.

La frontière est en effet ténue entre la prévention et la psychose. Dans ces grand-messes musicales où les jeunes ont la possibilité de s'ébrouer en toute insouciance, prôner la vigilance jusqu'à gâcher la fête n'est peut-être pas la panacée. Mais à quel point certains voient-ils dans cet espace de liberté décomplexé un terrain (boueux) propice au dérapage ? Cette année, un jeune homme photographié lors du célèbre festival californien de Coachella arborant un T-shirt répugnant "Eat, Sleep, Rape, Repeat" ("Mange, dors, viole, recommence") avait mis en lumière la propagation de la culture du viol qui sévit sur les campus et contaminerait ces réjouissances bon enfant. Pour Fleur Gardiner, bien loin d'être l'apanage des festivals, le changement des mentalités doit venir de l'éducation. "Il faudrait que les écoles instruisent davantage les jeunes gens afin qu'ils soient mieux informés sur ce qu'est le consentement."

Le royaume du rock, qui a vu naître l'hymne punk Sex & Drugs & Rock & Roll, arrivera-t-il à endiguer ce phénomène inquiétant ? En France, les agressions sexuelles lors des festivals de musique semblent sporadiques (on recense par exemple une victime au festival electro de Morlaix en 2014, un viol à Garorock à Marmande en 2012...). Ou du moins, les bouches restent closes.

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