Remarque déplacée, attitude toxique, vanne sexiste suivie d'un rire graveleux... Ces comportements nocifs perdurent partout, ils sont même normalisés dans notre société. Au sein d'un groupe d'amis masculins, autrement dit d'une bande de mecs, il n'est d'ailleurs pas rare de les observer. Mais les voir est une chose. Agir est une autre.
Or, que faire si, en tant qu'homme, j'observe cela chez mes meilleurs amis ? Et, si je ne reste pas passif, quelles méthodes dois-je alors avoir à l'esprit pour faire bouger les lignes ? La question n'est pas évidente, mais les réponses existent, si si, elles proviennent même des voix les plus expertes. Léger tour d'horizon.
On ne peut réfléchir aux comportements qui ne passent pas sans passer par la confrontation. Le mot n'est pas de trop. Réagir à une mauvaise blague ou à un propos déplacé ne se fait pas sans opposition : une parole dissonante doit résonner pour inciter l'autre au mea culpa et à l'introspection. Rien dans cette décision ne s'oppose à l'amitié entre hommes : au contraire, oser parler sans filtre et "raisonner" est la meilleure preuve d'affection.
Et si vous n'avez pour seule réponse qu'une protestation de gros dur, alors il serait peut-être temps de vous poser des questions sur vos relations. Cela étant, la prise de conscience ne se fait pas en un jour, elle résulte d'un (très) long parcours personnel, fait d'expériences, de lectures et de réflexions. C'est aussi pour cela que le philosophe Matthew Beard en appelle à une confrontation progressive : entendre l'opinion de votre ami, la résumer en quelques mots face à lui histoire de formaliser le problème, puis lui opposer votre point de vue sans détour.
Idéal pour ne pas simplement être sur la défensive mais rendre votre interlocuteur plus réceptif. Car une attitude sexiste est parfois inconsciente et plus encore, irrationnelle.
"La réalité, c'est que beaucoup de gens maintiennent leurs croyances sur la base d'une série de facteurs non rationnels", explique à ce titre l'expert Matthew Beard à ABC. Ces facteurs multiples, ce sont les préjugés, les clichés, les stéréotypes qui divisent et oppriment. Toutes ces choses invisibles qu'il vous faut déboulonner quand vient l'heure de la confrontation.
Qu'est-ce donc que les questions socratiques ? Simple : le philosophe antique Socrate aimait pousser les citoyennes et citoyens d'Athènes dans leurs retranchements. En incitant au dialogue (le "dialogue socratique") au sein de la Cité par le biais de ses interrogations faussement candides et neutres, il mettait en lumière leurs contradictions et les invitait à reconsidérer leur point de vue, de façon bienveillante et interactive. Une méthode prescrite par les sociologues et psychologues érudits du Harvard Business Review.
"Tu ne crois pas qu'une personne concernée pourrait être blessée par tes mots ?". "Tu es quelqu'un de cool, pourquoi fais-tu / dis-tu ça ?", "Une amie a vécue ça, et ça n'a rien de drôle. Tu ne crois pas ?".
Voilà autant de questions potentiellement exploitables - et déclinables à l'envi - pour faire germer quelques réflexions dans l'esprit de vos amis. L'idée ? Perturber, mais aussi encourager des remises en question spontanées, en les prenant directement à parti, sans en avoir l'air. Tout, au fond, est une question de rhétorique.
Dans une société où bien des violences sexistes, atténuées voire normalisées, passent par le langage, les conversations sont nécessaires pour remettre les choses à plat et rectifier ce qui doit l'être.
Avant de jouer au grand philosophe, autant peaufiner son introspection, se rendre compte de ses propres erreurs ou de son aisance curieuse à accepter celles des autres. L'humilité est plus que recommandée. Au devant de tous ces malus trop ordinaires, les blagues sexistes par exemple, encore largement banalisées dans notre société. Une banalisation qu'il faut commencer à interroger, en questionnant l'usage que l'on en fait communément. Un premier pas pour comprendre à quel point ces "simples vannes" peuvent être blessantes.
Faire fi de son arrogance masculine et tendre vers le mea culpa, cela ne paraît rien en soi, mais c'est déjà beaucoup. Le professeur de sociologie Michael Flood explique pourquoi à ABC : "On observe une grande tolérance chez les hommes pour les blagues sexistes. Or elles ont un impact sur les personnes qui les entendent. Hélas, ce n'est que lorsque le comportement de leurs amis devient manifestement abusif qu'ils ont l'impression de devoir faire quelque chose".
Raison de plus pour s'assurer une longueur d'avance.
Ironie de la chose, l'humour est un réservoir à sexisme, oui, mais il peut aussi être un repoussoir anti-sexistes. Dans une bande de mecs, l'humour est crucial, définissant les personnalités et ponctuant les conversations. Suivant cette logique, le site Bustle recommande fortement de l'employer pour fermer des clapets et susciter une remise en question. Sarcasmes et second degré sont des armes non-négligeables dans cette lutte.
Du style ? "Wow, j'aimerais pouvoir rejeter la moitié de la planète si facilement !"... Et autres boutades mettant en évidence l'absurdité des raisonnements étroits de votre interlocuteur amical. Si emprunter la voie de la vanne irrévérencieuse exige une certaine répartie, pas de panique : l'humour graveleux, sexiste et stéréotypé en exige largement moins. Vous voilà donc fortement privilégié sur ce terrain.
Qu'est-ce qui définit l'amitié, même "virile" ? De la compétition, des "taquineries", une forme de potacherie diraient certains... Mais aussi une proximité, quasi fraternelle : c'est là la définition de la "bromance", expression ironique employée pour illustrer ce relationnel. Or, la sociologue Jean Golden voit là un chemin de traverse adéquat pour faire comprendre à ses potes qu'ils agissent mal : les prendre par les sentiments.
"Dites-leur : 'Ce que tu dis ou ce que tu fais me met mal à l'aise'. Vous pouvez aussi leur faire savoir à l'avance que vous souhaitez discuter du sujet avec eux plus tard, en face à face", avance l'experte au média Global News. Si en amitié, la confiance incite parfois à trop accepter les travers des autres sans rien dire, elle peut tout aussi bien provoquer une discute et des discordances. En insistant sur votre malaise, vous exprimez sans détour la déception qu'a pu provoquer en vous une remarque ou un geste de votre pote.
Ainsi, vous lui faites comprendre que ce malaise est d'autant plus fort que l'ami en question compte à vos yeux. Et, sans véhémence, vous permettez une conversation plus honnête et moins insouciante.
C'est l'une des hypothèses fortes énoncées par l'étude du Harvard Business Review : se dire que la voix d'un homme qui s'adresse à un autre homme sera plus à même d'interpeller ce dernier, de le convaincre de ses erreurs ou outrages sexistes et de bousculer son confort de pensée. La revue voit là l'effet - heureux ou malheureux c'est selon - de "l'alliance masculine", cette idée de fraternité parfois implicite qui normalise une forme de connivence entre les hommes. D'aucuns parleraient volontiers de "boys club" pour la définir.
Et la revue d'Harvard de poursuivre : "Les femmes qui dénoncent un mauvais comportement masculin sont souvent perçues négativement, voire jugées moins légitimes qu'un homme qui fait de même. A l'inverse, une confrontation destinée à changer les attitudes a plus d'impact lorsqu'elle vient d'un homme, c'est à dire d'une personne similaire à son interlocuteur", nous apprend-t-on. Allez comprendre.
Et si un comportement sexiste permettait une critique bienvenue de ce même sexisme ? En tout cas, cette dénonciation-là est déjà une réalité, de plus en plus nette par les temps qui courent. Présidente-directrice générale de la Fondation canadienne des femmes, Paulette Senior nous l'affirme d'ailleurs : "Aujourd'hui, nous observons de plus en plus d'hommes aborder ces problèmes [les attitudes sexistes]. Or, une fois que nous nous serons suffisamment familiarisés avec eux, alors nous serons enfin en mesure d'y répondre correctement". CQFD.