Le sujet de l'expo est à peine croyable. Créée par l'artiste chinois Song Ta, Uglier and Uglier ("De plus en plus moche" en français) a soulevé une vague d'indignation. Pour la réaliser, l'homme a passé, en 2012, de longues journées à arpenter le campus d'une université locale. Son but ? Capturer les images les étudiantes avant ou après leurs cours, à l'aide de son appareil photo. Des séquences réalisées sans leur consentement, qui ont par la suite servi à un projet des plus révoltants : classer 5000 femmes de la "plus belle à la plus moche", en leur attribuant un score.
Un travail particulièrement chronophage - en plus d'être odieux - décrivait "l'artiste" à Vice lors d'une interview en 2019 (avec une journaliste qu'il ne pourra pas s'empêcher de "noter", elle aussi, rapporte le South China Morning Post). Il expliquait ainsi avoir dû engager trois assistants et mis plusieurs heures à faire un premier tri entre "les moches pardonnables" et les "moches impardonnables".
"En fin de compte, c'était effrayant... C'était des personnes normales, à qui il ne manquait ni un bras, ni une oreille, ni un oeil, mais tellement laides qu'elles mettaient les gens mal à l'aise", lâchait-il sans scrupule. A vomir ? Attendez la suite, car le concept, qui se présente sous la forme d'un film de 7 heures, a trouvé preneur non pas une, mais deux fois en l'espace de 8 ans.
D'abord, au UCCA Center for Contemporary Art de Pékin, en 2013. Et puis, à Shanghai, dans les couloirs prestigieux de l'OCAT, le musée d'art contemporain de la mégalopole. "Pour voir les reines du campus, il faut arriver tôt le matin !", proclamait Song Ta lors de la première date, à propos de l'ordre de diffusion des images. "Quand la nuit tombe, tout se transforme en enfer". Les deux "premières" reines, il a justement décidé de retirer leurs images de l'événement, et de les conserver pour lui. Glaçant.
Pour promouvoir le show, l'OCAT est passée par le réseau social Weibo. De quoi attirer l'attention de milliers de visiteur·se·s potentiel·le·s en temps normal, et susciter la colère des internautes dans ce cas précis. Nombreux·se·s s'insurgent contre un schéma archaïque et réducteur, dénonçant la "misogynie crasse" de la manoeuvre. "Cette oeuvre est non seulement insultante, mais elle porte atteinte au droit à l'image des individus, et ces femmes ne savaient même pas qu'elles étaient filmées", écrit-on. Et cette indignation a eu gain de cause.
"Après avoir entendu les critiques, nous avons réévalué le contenu de cette oeuvre et écouté les explications de l'artiste", a finalement déclaré le musée. "Nous pensons que l'oeuvre est irrespectueuse envers toutes les femmes et comporte des infractions au droit à l'image. Nous présentons nos excuses à tous les membres de notre public qui ont été troublés, gênés ou blessés par ce film exposé dans nos locaux".
Si Song Ta ne s'est pas encore prononcé sur la polémique, il y a fort à parier qu'il ne ressente pas l'ombre d'un remord. En 2019, il lançait ainsi à la journaliste de Vice, qui questionnait l'objectification que son expo faisait des femmes : "Je vous objectifie de manière honnête, c'est une forme de respect", répondait-il, droit dans ses bottes. "Je ne vous classerais pas aléatoirement à la première place, ce serait un manque de respect, ce serait se moquer de vous avec des mots intelligents." Et allait même jusqu'à affirmer se considérer lui-même comme "féministe", en précisant toutefois qu'il n'en comprenait pas les revendications. Clairement.
Ce n'est en outre pas la première fois qu'il utilise ce genre de procédé pour exprimer son "art". Depuis 2013, il s'est aussi penché sur une autre installation. Un défilé intitulé "One Worse than the Other" ("L'une pire que l'autre", en français), qui consistait à faire monter sur scène 44 femmes volontaires, les plaçant - là encore - de la plus belle à la plus laide. Une obsession qui fait froid dans le dos.