"C'est pas évident, c'est même très dur". Elles sont fortes, ces paroles d'Alexia Duchêne libérées du côté du site culinaire Atabula. Vous connaissez certainement cette jeune cheffe pour son parcours professionnel exemplaire, de ses exploits dans l'émission télévisée Top Chef (saison 10) à l'ouverture de son premier restaurant, Datsha Underground dans le 3e arrondissement de Paris - et ce à seulement 24 ans. Au sein d'une enquête ambitieuse consacrée aux violences sexuelles en cuisine, la jeune femme est revenue sur une phase tragique de sa vie : le viol qu'elle a subi, à l'âge de 15 ans. Les agresseurs ? Trois garçons de dix ans de plus qu'elle.
Un drame qu'elle a voulu raconter à l'équipe de son établissement pour la sensibiliser. "On ne se rend pas compte que ça peut partir d'un rien, et arriver à tout le monde. Lorsque j'ai revu les mecs au procès, ils avaient des remords, ils ont dit qu'ils ne se rendaient pas compte", détaille avec gravité Alexia Duchêne. Avant de poursuivre, sur le même ton : "Mais les hommes n'ont tellement pas l'habitude d'avoir des représailles...".
Un témoignage qui met l'accent sur l'impunité encore trop familière des violeurs, notamment au sein du milieu de la restauration. Ce n'est pas la première fois que la cheffe tend vers cet éveil des consciences féministe. L'an dernier, elle pointait du doigt les situations de harcèlement et de sexisme trop banalisés dans cette sphère.
"Je n'ai pas vécu que des trucs hyper cool dans les restos étoilés de Paris. Les mecs qui te mettent la main au cul, qui te parlent mal... J'ai reçu des textos quand j'avais 15 ans, de mecs qui me disaient 'Viens chez moi ce soir' et tout...", expliquait-elle alors. Un sinistre panorama qui donne envie de changer la donne.
Et c'est d'ailleurs ce qu'essaie de faire Alexia Duchêne au gré de ses initiatives de patronne. Proposer "un autre modèle de travail", pas forcément 100 % masculin, et assurer une meilleure communication entre les équipes. Un dialogue qui passe par un déboulonnage du sexisme ordinaire. "Au départ, je n'avais que des mecs en cuisine. Je leur ai dit que je voulais du respect envers tout le monde, que je refusais d'entendre des blagues sur qui que ce soit au restaurant ou en ma présence", détaille en ce sens la cheffe. Avis aux fanfarons en excès de testostérone.
Pour la jeune cheffe, il importe surtout "qu'on nous écoute une bonne fois pour toute !". Et écouter, c'est aussi prendre connaissance des témoignages relatés par Atabula. Des histoires de "mains au cul" de la part de chefs trois étoiles, de remarques déplacées (doux euphémisme) type "Te baisse pas comme ça, tu vas prendre neuf mois !" ou "Je viens travailler tous les matins juste pour mater tes seins", de "blagues" lourdes incessantes et de rapports de pouvoir évidemment. Anaïs, pâtissière dans un établissement de la capitale, le déplore : "On subit toujours ce sexisme. Il y a tellement de remarques par jour qu'il est impossible de toutes se les rappeler".
Du sexisme, mais aussi des menaces, Exemples ? "Je vais la monter en l'air !", "Je vais la détruire !". Sans oublier les affaires d'agressions sexuelles, suscitant encore une véritable omerta, bien que les paroles se libèrent peu à peu. Cheffe à Marseille, Laetitia Visse raconte à ce titre à la revue culinaire : "Le milieu est à la traîne et le problème est profond. Lorsqu'un chef a vécu lui-même des violences ou des remarques, il n'envisage pas les choses autrement, car on vous met sous le nez que si vous êtes tendre, vous êtes faible".
Mais Alexia Duchêne, de son côté, croit en un "retour de bâton". "On voit que de nombreux chefs assez établis dans le milieu ne se sont pas fait sanctionner, contrairement à ce qu'on a pu voir pour Harvey Weinstein par exemple. Il faut en parler car, un jour, ces grands chefs tomberont. On ne voudra plus aller chez eux, parce qu'ils se comportent comme des merdes, et c'est à ce moment là qu'on aura vraiment gagné".
Rappelons que parmi 2650 chefs étoilés, on compte un très faible 5 % de femmes cheffes. Une supériorité qui ne profite pas aux révolutions.