"Pour beaucoup, le travail occupe la majeure partie du temps éveillé, aspire l'énergie et accapare les pensées. Au centre de la vie, il peut asservir autant qu'il peut libérer". Voici le constat très juste dressé par Mickaël Mangot, directeur général de l'Institut de l'Économie du bonheur et auteur de l'ouvrage Le boulot qui cache la forêt, paru aux Éditions Larousse le 7 mars. Dans ce livre, l'auteur parcourt des siècles d'histoire et analyse comment les révolutions sociétales ont profondément modifié notre vision du travail et l'importance que nous lui accordons en termes de temps et de valeur.
Mickaël Mangot ne fait pas qu'explorer l'héritage du passé : il décortique le présent et analyse les nouvelles tendances de travail (télétravail, entrepreneuriat, pluriactivité) qui permettent d'améliorer notre sentiment de satisfaction au travail. Car c'est le bien là le sujet de fond : comment le travail influe sur notre bien-être émotionnel ? À l'occasion de la Journée internationale du bonheur ce mardi 20 mars, Mickaël Mangot nous éclaire et nous aide à comprendre comment mieux s'épanouir dans son travail.
Mickaël Mangot : Par l'essence même du travail : travailler est une norme sociale et un moyen de gagner sa vie. Placer le travail au centre de sa vie devient également une habitude à mesure que l'on vieillit. Or, les usages ne sont pas toujours en adéquation avec ce que l'on sait être les leviers du bonheur. D'ailleurs, beaucoup de personnes ne vont pas chercher le bonheur dans leur travail, mais vont plutôt se concentrer davantage sur d'autres aspects de leur vie. Ce n'est pas si étonnant que le travail et le bonheur ne soient pas intrinsèquement liés.
M.M : Cela dépend de chacun, bien évidemment. Mais d'une manière générale, les leviers pour accéder au bonheur sont multiples. On les trouve dans le travail mais aussi dans le temps qu'on va passer avec sa famille, ses amis, la personne avec qui on partage sa vie, ses hobbies, son engagement citoyen etc... Mais le levier déterminant du bonheur d'une personne n'est en fait ni le travail, ni les loisirs, ni les amis, ni la famille mais avant tout le rapport à soi, l'estime que l'on se porte.
Ceux qui misent entièrement sur le travail pour avoir une bonne estime d'eux-mêmes font une grosse erreur, car en cas d'échec ou de déception, leur image personnelle sera écornée. Or, un échec est souvent lié à plusieurs éléments contingents : sa performance et son comportement certes, mais pas que : les résultats et les décisions de l'entreprise, des événements internes dont on n'a pas connaissance et bien sûr, la conjoncture économique. En conditionnant son estime de soi à sa réussite professionnelle, on se met en danger inutilement.
M.M : Je dirais qu'il y a 3 types. Le premier concerne le contenu, c'est-à-dire la nature des tâches : est-ce que c'est varié, stimulant, les objectifs sont-ils clairs... Ensuite, il y a l'environnement social dans lequel on travaille : une équipe soudée, un manager compétent et disponible, des collègues agréables, une dynamique d'ensemble sont des critères essentiels pour se sentir épanoui. Enfin, il y a la notion de récompense, qui inclut bien sûr la rémunération mais également la sécurité de l'emploi, les perspectives de promotion et le statut social que confère le poste. Contrairement à l'intuition, ce sont les deux premiers types qui sont les plus importants.
M.M : En effet. Depuis ces dernières années, les employés se mettent davantage à travailler de chez eux, ce que de plus en plus d'entreprises tolèrent, voire encouragent. Le télétravail présente de nombreux avantages pour le salarié, qui va ressentir un plus grand sentiment d'autonomie et de flexibilité. Pour ceux qui vivent loin de leur travail, c'est aussi un moyen de se reposer des trajets éreintants du quotidien. Cela dit, trop de télétravail peut aussi conduire à l'isolement du salarié, qui risque de trouver pesant le manque de relation et de feedback sur son travail. Les études sur le sujet montrent que l'idéal est de faire [quand la profession exercée le permet bien entendu] 50/50 entre télétravail et temps passé en entreprise.
M.M : Oui et heureusement ! Mais je pense qu'il faut prendre certaines dispositions, à commencer par celle de ne pas compter entièrement sur son travail pour être heureux. Plutôt que d'exiger tout de son travail, qu'il réponde à tous nos besoins psychologiques, il faut exiger l'essentiel, c'est-à-dire qu'il apporte ce que l'on vient chercher dans le travail et que l'on ne trouve pas ailleurs : une source de revenus, la participation à une aventure collective, une activité pourvoyeuse de sens...
Je pense qu'il est aussi très important de faire le point afin de connaître ce qui est satisfaisant dans son travail et ce qui ne l'est pas. Prenez par exemple quelqu'un qui veut quitter son travail parce qu'il ne n'y sent pas heureux. A-t-il exploré toutes les ressources de son poste, qu'elles soient humaines, financières ou intellectuelles ? Changer de travail simplement parce qu'on n'en apprécie pas un ou plusieurs aspects n'est pas toujours la bonne solution, car le surcroît de satisfaction associé à un changement d'emploi n'est souvent que temporaire.
C'est important de faire le point sur sa situation et ses leviers d'action. De mon point de vue, le bien-être au travail dépend largement d'une attitude et d'un état d'esprit positifs [rechercher et exploiter les ressources à sa disposition]. C'est vrai pour le travail comme pour les autres pans de la vie."
"Le boulot qui cache la forêt", Mickaël Mangot, Éditions Larousse. 17,95 euros.