Le 16 mars dernier, une triple fusillade a meurtri la ville d'Atlanta, capitale de l'État de Géorgie. La tuerie a pris place dans trois salons de massage. Robert Aaron Long, 21 ans, a reconnu être l'auteur des tirs. On dénombrerait huit morts. Parmi ces victimes, six femmes d'origine asiatique. Une tragédie en dit long sur les Américaines d'origine asiatique, clairement ciblées dans cet attentat.
C'est d'ailleurs ce qu'affirme la chercheuse sino-américaine Jennifer Ho du côté de CNN. L'experte a publié une tribune poignante à l'intitulé éloquent : "Être une Asiatique en Amérique, c'est ne pas être considérée comme un être humain". Selon elle, les femmes asiatiques feraient l'objet de fantasmes sexuels prégnants, de préjugés constants et de violences diverses.
"Je ne connais pas les noms des victimes mais celui du tireur, Robert Aaron Long, a été diffusé mardi soir et c'est surtout de lui dont on a parlé et non des victimes. Il a déclaré à la police avoir tué ces femmes par 'vengeance', parce qu'il était accro au sexe et ne supportait plus la 'tentation' induite par les salons de massage", explique ainsi l'universitaire.
Une déclaration qui ne laisserait pas de doute sur le caractère raciste de ce crime.
"Ce tireur s'est rendu dans des lieux où il savait qu'il y aurait des femmes asiatiques et il les a abattues. Dans tous les États-Unis, l'ensemble de la communauté asiatique, hommes et femmes, est terrifiée", poursuit Jennifer Ho. Une communauté qui, selon elle, fait depuis longtemps l'objet d'une véritable "violence anti-asiatique" banalisée. La rédactrice parle en connaissance de cause, ayant vécu 20 ans dans le Sud des Etats-Unis.
Quelles violences ? Des "fantasmes" systématiques érigeant les femmes asiatiques en "objets sexuels pour le plaisir des hommes blancs" d'abord, fantasmes que la culture américaine ne cesse de perpétuer dans ses films et séries. Violences racistes aussi, de la part d'hommes plus âgés, vétérans qui se plaisent à "vous raconter leurs histoires de guerre de Corée, du Vietnam et parfois du Moyen-Orient, et vous disent que vous leur rappelez ces femmes coréennes ou vietnamiennes qu'ils ont autrefois connues", déplore encore l'universitaire.
Violences enfin, que subissent celles qui, jeunes et précaires, travaillent dans des salons de massage, "les hommes supposant dès lors que vous êtes une travailleuse du sexe, alors que ce n'est pas le cas", observe Jennifer Ho. Un cadre professionnel où irrespect, insultes racistes, sexistes et abus divers sont loin d'être rares. "Être une femme asiatique en Amérique signifie enfin que vous ne pouvez pas être simplement ce que vous êtes: un être humain pleinement émancipé", s'attriste la chercheuse.
Avant de poursuivre : "Être une femme asiatique travaillant dans le sud des États-Unis et dans l'industrie du massage signifie donc être un objet, pas un sujet, et être invisible, sauf lorsque vous êtes tuée par un homme blanc qui prétend que ce n'est pas sa faute, mais de celle de sa dépendance sexuelle". C'est justement pour faire cesser cette invisibilisation systématique que l'autrice en appelle à ce que les tueries d'Atlanta soient considérées comme des "crimes de haine", c'est-à-dire des massacres ouvertement racistes.
"Que pouvons-nous faire ? Que pouvez-vous faire ? Ne pas détourner le regard. Ce ne sont pas des histoires uniques. Il y a toute une histoire de violence sexualisée contre les femmes asiatiques en Amérique", achève l'oratrice. Une tribune puissante. Et qui libère bien des voix en Amérique. Du côté de CNN toujours, une enquête cinglante nous rappelle ainsi à quel point les femmes asiatiques sont "sexualisées, fétichisées, marginalisées", et victimes de bien des violences - sexuelles, racistes, économiques.
Perçues comme "dociles, vulnérables", elles font encore l'objet de nombreux préjugés, qui les accablent physiquement, professionnellement, moralement. Aux Etats Unis et à l'heure du drame, le racisme anti-asiatique tend désormais à ne plus être un sujet tabou.