Ne vous fiez pas à leur air innocent : non, les jouets genrés n'ont rien de mignon. Car ces petites dînettes roses "pour filles" ou microscopes "pour les petits garçons curieux" sont en réalité les biais par lesquels se perpétuent les stéréotypes qui minent notre société.
Dès leur plus jeune âge, le marketing genré bombarde de clichés sexistes et archaïques nos enfants, leur donnant une image grotesque - et erronée- de chaque sexe : les filles ne savent pas courir, ne se préoccupent que de leur apparence et doivent être jolies et douces tandis que les garçons doivent être forts, faire beaucoup de sport et ne jamais pleurer... Et cette vision réductrice du genre a un impact effrayamment important, puisque cela peut être le point de départ du sexisme ou de la misogynie : après tout, on apprend aux enfants qu'ils ne peuvent pas faire ou aimer certaines choses en fonction ... de leur sexe !
C'est pourquoi on ne pouvait que se réjouir qu'un père de famille choisisse de dénoncer publiquement les ravages du marketing genré. Et c'est ce qu'a fait hier Guillaume Champeau, journaliste : il a expliqué dans un message Twitter que son fils n'avait pas osé lui demander directement une poupée sur Noël parce qu'il avait vu que le jouet tant convoité se trouvait dans les pages roses du catalogue. Et si ce témoignage est déjà très révélateur de notre société, ce n'est rien par rapport au déferlement de violence et d'homophobie qu'a provoqué ce tweet. On a trouvé quoi mettre en haut de notre liste de voeux pour 2017 : du progrès...
Voilà la question que pose timidement le petit garçon de Guillaume Champeau à son père, après avoir épluché les catalogues de jouets pour commander ses cadeaux de Noël. Comme l'explique le journaliste dans un article de blog sur Medium, au cours duquel il revient sur la polémique née de son message, les jouets réputés "pour fille" (dont les poupées, évidemment) se trouvaient dans les "pages roses" du catalogue, tandis que les jouets "pour garçon" étaient dans des "pages bleues" sans aucun doute bien plus "viriles".
Le petit garçon de 4 ans a tout de suite pressenti que ces jouets n'étaient pas pour lui, qu'il n'y avait pas le droit simplement à cause de son sexe. Guillaume Champeau rapporte qu'il n'a rien osé dire sur le coup, mais qu'il lui a reposé la question plus tard, embarrassé, en demandant si les poupées étaient réservées aux filles. "Donc avec ma femme, on lui a dit que non, c'était pour tout le monde, et que s'il en voulait une, il suffisait de demander au père Noël. "Laquelle tu voudrais ?". Sur son visage, sourire de soulagement, yeux pétillants, et il commence à parler de la poupée Reine des Neiges, ou de la Barbie Arc-en-ciel. Il avait gardé ça en lui".
Le journaliste est choqué par l'impact du catalogue sexiste sur son fils, qui a pourtant toujours eu des jouets qui lui plaisaient à lui et non pas à la société, et qui pouvait jouer aussi bien avec un Spiderman, des épées et un ballon qu'avec une dînette, un aspirateur ou une poussette. "Jamais on ne lui a dit "c'est pour les filles" ou "c'est pour les garçons". On part du principe que s'il veut un jouet, c'est qu'il en a envie, donc inconsciemment qu'il en a besoin pour son équilibre et son développement", explique Chameau. C'est donc pour transmettre ce message qu'il poste un tweet résumant l'anecdote : "Mon fils (4 ans) voulait une poupée mais n'osait pas demander parce que c'est sur les pages "roses" du catalogue de Noël. #stereotypes".
Au départ, beaucoup le félicitent de dénoncer le marketing genré et le soutiennent. "En maternelle, la maîtresse a fait des étiquettes pour que les enfants reconnaissent leurs prénoms, rose pour les filles, bleu pour les garçons... Mon fils a 3 ans et il sait déjà que chacun a son "étiquette"", déplore un internaute en commentaire. "Il n'y a pas de jouets pour filles ou pour garçons. Il y a juste des jouets pour enfants. Stop aux stéréotypes", appuie un autre. Mais rapidement, la Twittosphère s'emballe et un torrent de commentaires incendiaires et vulgaires inondent le compte de Champeau.
En moins de 24h, Champeau se retrouve au coeur d'un maelström de réactions extrêmement insultantes et sexistes . Bouche bée, il reçoit des centaines de messages d'une violence et d'une vulgarité inouïe, qui attaquent le père comme le fils. Les internautes se déchaînent, accusent Guillaume Champeau de "vouloir rendre [son] fils gay comme [lui]", et font pleuvoir les propos homophobes.
Face à cette litanie injurieuse de "pd", "sale gai" (sic) et autres joyeusetés mal orthographiées, Champeau a saisi sa plume pour dénoncer le sexisme et l'homophobie latents qui persistent aujourd'hui encore.
"N'étant pas homosexuel, je n'ai jamais subi l'homophobie. Mais là, je l'ai vue de mes propres yeux, toutes les minutes ou presque, s'égrainer toute la journée sur mon écran Tweetdeck. J'ai aussi vu à quel point c'était "communautaire" et ça m'inquiète beaucoup. Encore une fois, je ne suis pas pour qu'on censure les imbéciles. J'ai toujours trouvé que la censure était contre-productive et qu'il fallait savoir affronter la réalité des discours, même ceux qui nous déplaisent, pour mieux leur répondre. Mais on a un sacré travail à faire. Par où commencer ?", conclut-il à la fin de son billet.
Pour Fatima-Ezzahra Benomar, cofondatrice du collectif Les Effrontées, cette anecdote est un exemple pratique de la discrimination des sexes contre laquelle se battent au quotidien les féministes. "Cela démontre combien notre société est construite sur des rôles non interchangeables entre les hommes et les femmes [...]", analyse-t-elle pour BFMTV.com. "Les stéréotypes diffusés dès le plus jeune âge mettent des barrières aux enfants qui les poursuivront toute leur vie. Ce sont des clichés selon lesquels un homme n'est pas viril s'il est homosexuel et une femme n'est pas une vraie femme si elle fait "hommasse". Toutes ces cases rigides et ces vieilles représentations font beaucoup de mal."
En attendant, Guillaume Champeau assure qu'il a bien commandé la fameuse poupée pour le Noël de son fils. Et c'est le meilleur cadeau qu'on puisse glisser sous le sapin pour nos enfants : un peu plus de tolérance et d'ouverture.