"Le féminisme, une histoire de femmes et d'hommes" était une des tables rondes de la première université d'été du féminisme ce jeudi 13 septembre. Pour intervenir, on a pu compter sur l'historienne Michelle Perrot, sur Pierre-Yves Ginet, journaliste et fondateur des Editions du 8 mars, et Grégoire Théry, tout deux membre du Haut Conseil à l'Égalité, mais aussi la documentariste Ovidie.
Et pour introduire cette table ronde qui s'annonçait passionnante, il y eu le philosophe médiatique Raphaël Enthoven, à qui l'organisatrice de l'événement, la Secrétaire d'État en charge de l'Égalité Femmes hommes, Marlène Schiappa, a accordé pas moins de 25 minutes de discours sans contradicteur ni contradictrice.
Ce fut un moment gênant.
Sa venue avait déjà été contestée en amont de l'événement. Dans un souci de débat, elle n'avait pas été annulée. Mais dans un souci de débat, comment peut-on imaginer laisser parler Raphaël Enthoven tout seul ? Le matin même, Elisabeth Levy, directrice de la rédaction du magazine Causeur, qui n'est pas connue pour être la première des progressistes, était venue parler du fait que l'on puisse être féministe et conservatrice. Elle avait en face d'elle la journaliste Martine Storti.
Pendant sa "carte blanche", Raphaël Enthoven a eu le temps de placer ses attaques contre les féministes qui ne seraient pas en accord avec lui : "Je suis heureux et joyeux de participer, heureux et fier d'avoir le droit d'y parler malgré celles et ceux qui aurait adoré m'en empêcher. Si je suis là aujourd'hui, c'est que vous n'avez pas autorisé madame la Ministre, la confiscation du débat par une seule vision du monde."
Il poursuit en s'adressant à Marlène Schiappa : "Vous n'avez pas permis la réduction du débat à la profération univoque d'un sermon sans nuance, bref vous n'avez pas vu dans l'absence de désaccord, la condition d'une discussion constructive". Sauf que lui-même n'a pas eu le droit à un débat, il a parlé seul.
Continuant son intervention sur un ton guerrier, Enthoven déclare : "Une démocratie n'a rien a craindre de ses ennemi·e·s, au contraire, ses ennemi·e·s la mette à l'épreuve, mais elle a tout à craindre de ses lâches, or certaines époques sont truffées de lâches à qui l'esquive tient lieu de victoire."
Avec cette phrase, on y est. Voilà, une pièce vient d'être ajoutée dans la grande machine médiatique. De l'université d'été du féminisme, on va en parler. Partout sur Twitter, sur Facebook dans les JT. On dira d'Elisabeth Levy qu'elle a été huée, d'Enthoven qu'il a (à peine) été interrompu. Ils y auront droit.
Les féministes, notamment celles qui n'étaient pas invitées, comme l'association Osez le féminisme (que la secrétaire d'État ne porte pas dans son coeur) on été très critiques sur le discours de Raphaël Enthoven.
Comme l'a dit la réalisatrice Ovidie lors de la conférence qui a suivi : "Ce qu'on attendait des hommes, c'était qu'ils écoutent et qu'ils parlent le moins possible. Ce que j'attendais, c'était juste prendre acte et ne pas commencer à se défendre : 'Mais moi j'ai jamais violé, madame', très bien t'auras un cookie"". Et Raphaël Enthoven n'est pas venu écouter, il est venu s'écouter parler. La leçon de mansplaining fut magistrale, de la part d'un homme qui se dit féministe.
Des hommes féministes, il en existe, comme Pierre-Yves Ginet, fondateur du magazine Femmes d'Ici et d'Ailleurs, qui lui a apprécié l'organisation de cette conférence : "Jamais je n'aurais cru un jour qu'un truc d'État soit organisé avec écrit 'féministe' dessus." S'il regrette le manque de temps pour un réel débat lors des tables rondes, ce qui est souvent le lot de beaucoup de conférence aux multiples intervenant·e·s, il a souligné : "C'est une initiative remarquable que cela soit l'État qui l'organise", nous confie-t-il.
Lui qui fait remonter son engagement féministe à la fin des années 1990 en a cependant marre des belles paroles : "On ne pleure plus le 25 novembre (Journée pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes) ou le 8 mars (Journée internationale des droits des femmes) devant les discours." Pierre-Yves Ginet ajoute que pour faire avancer l'égalité concrètement, les hommes doivent "se regarder dans la glace et réfléchir." "Il ne faut pas oublier de mettre en avant que l'égalité, cela implique des choses qui ne sont pas drôles pour les hommes. Les tâches domestiques, ça n'est pas fun. Mais la balance est positive. On en retire des choses. Les entreprises égalitaires marchent mieux, les couples égalitaires se séparent moins, on s'éclate plus sous la couette", explique-t-il.
Pierre-Yves Ginet croit en une chose : la ringardisation. "Enthoven a montré ça. Il faut ringardiser plein d'attitudes. J'aimerais un jour que si un président de conseil d'administration dit qu'il n'a pas réussi à recruter une femme PDG, tout le monde se mette à rire dans la salle, que cela soit un éclat de rire général." Il ajoute : "On est dans un pays ringard, de 1958 à 2018, on a eu aucune femme présidente de l'Assemblée nationale. Vous dînez avec une Islandaise, elle rigole !"
Lors de la conférence, il a rappelé : "Le féminisme est une histoire de femmes avec des hommes militants qui restent très minoritaire, même si on avance. Il y a le féminisme d'engagement et de parole et le féminisme des actes. Quand on est un homme et qu'on se prétend féministe, cela a des conséquences dans l'intimité. Ca, ce sont des actes. En politique, cela a des conséquences, mettre les moyens pour la grande cause du quinquennat ce qui n'est pas le cas aujourd'hui."
Lors de cette table ronde sur les hommes féministes, Grégoire Théry du mouvement du NID a averti l'assemblée : "Tendez bien l'oreille parce que je ne parlerai pas aussi fort que Raphaël Enthoven." A celui qui s'est attardé dans son intervention à s'attaquer aux réunions non-mixtes, il répond : "Qu'est-ce qui est non-mixte dans la société ? Ce ne sont pas assos féministes, ce sont les lieux de pouvoir."
A terme de son petit show lors de l'université d'été, Raphaël Enthoven est reparti à son activité favorite : clasher les féministes sur Twitter.