Ann-Kathrin Stracke. Tel est le nom de la journaliste, officiant pour la chaîne de télévision allemande WDR, qui accuse aujourd'hui l'ex-président de la République Valery Giscard d'Estaing d'agression sexuelle. Plus précisément, le politicien lui aurait touché les fesses à de multiples reprises lors d'un entretien organisé dans son bureau à la fin de l'année 2018. Une enquête a donc été ouverte cette semaine par le parquet de Paris.
"J'ai mis 15 mois [avant de porter plainte en mars dernier], j'ai beaucoup réfléchi. Je sais qu'il est ancien président de la République, qu'il a toujours du pouvoir, mais je pense que c'est important de parler de son comportement", a expliqué Ann-Kathrin Stracke. Ce que dénonce aujourd'hui la reporter trentenaire, c'est toute cette "situation dégradante" qu'elle a pu vivre : elle s'est "sentie humiliée", dit-elle encore, lorsque l'ancien chef d'Etat lui a touché la taille, puis les fesses, prétextant de lui montrer des photos accrochées aux murs de son bureau.
Des déclarations qui ont fait grand bruit. Mais pas toujours pour le meilleur. Sur les réseaux sociaux (en réponse aux révélations du Monde notamment), et alors que le principal concerné déclare ne se souvenir de rien, certains prétendent qu'un homme de 94 ans (92 ans au moment des faits supposés) ne pourrait pas "réellement" agresser sexuellement une femme. Une assertion désormais contestée par bien des voix indignées.
"Franchement, c'était pas pour l'agresser, le papy n'est plus capable de baiser", "Belle santé Giscard ! Félicitations", "Expliquez moi comment un vieillard peut encore avoir des pulsions sexuelles et la ressource d'insister ? On nage en plein délire et 4e dimension"... Du côté des commentaires Twitter du site du Monde, le ton oscille entre moqueries et minimisation des accusations. Comme si l'évocation d'attouchements de la part d'un homme âgé était du ressort de la science-fiction.
De quoi susciter la colère de certain·e·s internautes et militantes féministes. Comme la linguiste Laélia Veron : "Au vu des commentaires, j'aimerais bien qu'on m'aide à déterminer à partir de quel âge une agression sexuelle, ça devient "marrant" svp", fustige la chercheuse. "Les réponses à ce tweet sont hallucinantes : la victime serait indécente de porter plainte car VGE est très âgé. 'Oh et puis à cet âge, on perd la boule, donc c'est normal'... Non, on peut avoir plus de 90 ans et toute sa tête", poursuit en ce sens Noémie Renard.
Pour l'autrice de l'essai de référence En finir avec la culture du viol, ces réactions sont égales à celles suscitées par les récits - nombreux bien qu'encore trop ignorés - d'agressions sexuelles répétées dans les Ehpad. Dans tous les cas, attouchements et actes "libidineux" plus que déplacés sont dédramatisés, si ce n'est tout à fait niés.
Et c'est justement pour dénoncer ces faits que les paroles se libèrent aujourd'hui. Du côté de Twitter encore, une internaute témoigne en retour : "Dans l'EHPAD où j'ai exercé il y a quelques années, j'ai été agressée sexuellement par un résident. Aujourd'hui je regrette de ne pas avoir porté plainte, pour moi, pour les résidentes, pour mes collègues, mais aussi contre la hiérarchie qui a couvert le 'problème'". Comprendre, la question de l'âge, que l'agresseur soit un résident d'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes ou bien un ancien président de la République française, ne déréalise pas pour autant les actes incriminés.
A l'unisson, une aide-soignante déclare avoir subi par deux fois "des attouchements de patients qui n'avaient pas de pathologies", mais n'avoir suscité qu'incompréhension et véhémence en osant en parler. Preuve en est que ces situations trop peu mises en lumière restent encore de l'ordre du tabou. "Quand les agresseurs sont jeunes, ils ne faut pas porter plainte pour ne pas gâcher leur 'futur brillant'. Et quand ils sont morts, ce serait 'ternir leur image'. C'est à quel âge au juste qu'on peut ne pas se taire ?", ironise à ce titre une autre internaute.
Mais depuis la médiatisation des accusations énoncées à l'égard de Valéry Giscard d'Estaing, le tabou se fissure doucement. "Je travaille dans les services aux personnes âgées. En formation, on nous a dit que 'les vieux messieurs aiment bien les jeunes femmes, elle doivent donc s'habiller décemment, c'est comme les gâteaux : on veut les manger seulement si ils sont beaux'... oklm !", témoigne encore une autre voix anonyme. Des propos qui indignent et dévoilent la banalisation - si ce n'est la normalisation - de telles situations, au détriment des victimes. Oui, mais jusqu'à quand ?