Chaque année, en Russie, plus de 16,5 millions de femmes sont victimes de violences domestiques, selon les militantes féministes locales. Ce chiffre a été établi avant l'épidémie de coronavirus, et le confinement qui en a suivi. Depuis fin mars, elles sont forcées, comme partout dans le monde, de cohabiter avec leur agresseur. Sans moyen de s'échapper. Marina Pisklakova-Parker, défenseuse des droits des femmes, indique à l'AFP qu'entre février et fin avril 2020, son association ANNA a recensé 30 % d'appel en plus sur son numéro d'urgence.
"La situation est pire ici car il n'y a pas de loi", déplore-t-elle. En 2017, Vladimir Poutine a ainsi signé une loi qui dépénalise certaines formes de violences intrafamiliales pour éviter "la destruction de la famille". Au lieu d'une peine de prison de deux ans, les bourreaux s'en sortent désormais avec de simples amendes, sauf en cas de violences "graves" et de récidives.
Un manque de considération aux conséquences dramatiques, qui perdure pendant la quarantaine, et ce malgré les alertes des organisations sur place. Le gouvernement russe a non seulement ignoré la demande des associations de défense des droits des femmes d'adopter des mesures d'urgence, notamment d'ouvrir des refuges et de lancer une campagne de sensibilisation contre les violences conjugales, détaille l'AFP, mais le ministère de l'Intérieur s'est aussi targué d'une baisse de ce fléau de 9 % au mois d'avril, par rapport à l'année d'avant.
Pourtant, sur le terrain, la réalité est toute autre.
Aliona Sadikova, responsable du centre Kitej d'assistance psychologique aux femmes, dénonçait déjà au mois de novembre dernier "l'impunité dont bénéficient les hommes violents" en Russie, lors du procès d'Oleg Sokolov, ancien professeur de l'école de Marion Maréchal, reconnu coupable d'avoir assassiné et démembré sa compagne de 24 ans.
Elle rapporte aujourd'hui avoir reçu plus de 400 demandes d'aide depuis le début du confinement, fin mars. La plupart des victimes ayant confié que la police n'avait été d'aucun secours, et qu'elles se retrouvaient complètement démunies, sans solution pour fuir un calvaire quotidien.
Ineta Akhtiamova, 50 ans, raconte à l'AFP qu'un soir, alors qu'elle cuisinait, son compagnon l'a frappée une énième fois et lui a ordonné de quitter leur petit appartement moscovite. "Je suis partie, je ne pouvais plus supporter tout cela", livre-t-elle. "C'est pas bien si je me tais. C'est pas bien si je parle. C'est pas bien si je fais de la soupe. C'est pas bien si je fais des pommes de terre".
Hébergée dans un hôtel et nourrie par Kitej, elle ajoute qu'en temps normal, elle se serait réfugiée chez des ami·e·s. Seulement l'épidémie a rendu son entourage réticent à l'accueillir, tout comme deux foyers pour femmes.
"Ce que nous voyons n'est que le début", assure Aliona Sadikova. "Quand le confinement se sera terminé, nous allons voir des répliques et des vagues de violences familiales". Elle craint que la crise économique et ses répercussions renforcent les tensions dans les couples, et les violences.
Et conclut : "Il est donc très important de s'occuper au maximum du problème dès maintenant".