« J'ai failli tuer mon ex-femme, Sabrina ». C'est la réponse que donne Frédéric Matwies lorsqu’on lui demande pourquoi il a écrit ce livre au titre assez explicite : « Il y avait un monstre en moi » (paru aux éditions Michalon). Cette « confession d’un ex-mari violent » ne se veut pas un plaidoyer en faveur des hommes meurtris par leur enfance ou rongés par quelque traumatisme, pour justifier l’injustifiable, mais une prise de parole qui pourrait s’avérer utile pour mieux comprendre, prévenir, repérer et « soigner » la violence dans le couple. « Je veux montrer qu'on n'est pas condamné, qu'il y a des solutions pour retrouver une vie normale », explique Frédéric Matwies. Sorti du cycle infernal de la violence grâce à une thérapie de groupe, il regrette qu’on ne porte pas plus les efforts sur ce versant-là de la violence conjugale, et avoue se sentir concerné lorsqu’il lit les chiffres dans la presse : en France une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son compagnon, 675 000 femmes ont subi des violences en 2008 et 2009… Pas mal à l’aise, « j’ai dépassé le stade de la culpabilité », dit-il, mais soucieux de contribuer autant que possible à faire bouger les choses, il ose tout dire, au risque de laisser ses filles de 13 et 14 ans, découvrir des scènes dont il a encore honte.
Quand la violence devient un rituel
« Qu’est-ce que la violence conjugale ? La très grande majorité de vos interlocuteurs répondra que « c’est lorsqu’un homme tape sur sa femme ». La réponse est bien plus complexe que cela. La violence conjugale naît d’un enchaînement infernal, comme un cyclone qui emporte tout sur son passage », lit-on dans ce récit-confession. Pour Frédéric, cela commence par des reproches et des mots blessants dès les premiers mois de sa relation passionnelle avec Sabrina. La première véritable relation amoureuse dans la vie de ce garçon plutôt renfermé, « faible », « insaisissable pour son entourage, parfois sanguin, et qui ne comprenait pas lui-même ce qui ne tournait pas rond. » Un jour où elle manifeste l’envie de rompre, il « explose », la gifle à plusieurs reprises et la roue de coups, « elle me supplie d’arrêter mais je continue [de cogner], plus rien n’existe autour », écrit-il. Frédéric explique qu’après cette première scène, il commence à culpabiliser moins, et le rituel de la violence s’installe : elle lui pardonne à chaque fois, et souvent, ils font l’amour « sauvagement et sans tendresse, comme pour réparer les dégâts ».
Jusqu’au dernier coup
Pascal Couderc*, psychologue spécialiste du couple à Paris, confirme l’importance du premier épisode de violence : « A partir du premier coup, l’agresseur intègre l’acceptation de sa « victime », et cela lui permet de recommencer, c’est pourquoi le meilleur message de prévention est d’inciter les femmes à porter plainte dès les premières violences ». L’ancien mari violent en vient à regretter que sa compagne n’ait pas porté plainte plus tôt, au lieu de le laisser aller toujours plus loin. Un jour c’est un mégot qu’il lui écrase sur la cuisse, une autre fois, enragé, il lui enfourne des déjections de lapin dans la bouche. Après, il s’excuse, il s’en veut. Mais « le monstre en veut toujours plus », écrit-il. Jusqu'au jour où il commet l’irréparable. Pour M. Matwies, c’est un coup de couteau, qu’il freine au dernier moment et qui blesse Sabrina au bras, au lieu de la tuer. La garde à vue et la prison avec sursis servent d’électrochoc.
« J’ai apprivoisé le monstre »
Comparer ses pulsions à un monstre serait courant chez les auteurs de violences conjugales, « ils parlent comme si quelque chose en eux d’incontrôlable agissait à leur place, mais cette vision des choses n’est pas forcément la bonne », explique Pascal Couderc. « Il ne s’agit pas d’un autre être à extirper, mais plutôt d’un penchant à domestiquer, et de limites à intégrer. » Le tribunal ne lui impose pas, et c’est donc de lui-même que Frédéric décide de suivre une thérapie de groupe. Eprouvante, mais salutaire. « On apprend à raconter, on se met à nu, on expose la violence et on écoute celle de l’autre, cela nous renvoie à notre propre image », raconte-t-il. Frédéric refait surtout le chemin en sens inverse, pour trouver ce qui lui fait mal, comprendre le « mécanisme de sa violence ». Il redécouvre son histoire familiale, et celle de Sabrina, avec qui il parvient à avoir de longues discussions. Elle a été victime de violence dans sa jeunesse, et peine à se stabiliser psychologiquement, « je ne veux surtout pas rejeter mes responsabilités sur elle, mais je sais désormais que dans cette histoire, il y avait des ingrédients à ne pas mélanger ». La thérapie lui a donné le recul qui lui manquait pour éviter « d’appuyer sur les touches sensibles » et apprendre à « demander de l’aide », relève Pascal Couderc, pour qui la démarche d’écriture prouve à quel point Frédéric est sorti de ses difficultés.
Huit ans après sa garde à vue, Frédéric vit avec ses filles, dont il a obtenu la garde exclusive. Séparé de Sabrina, il aborde avec circonspection la moindre relation amoureuse. « Je me teste » dit-il, « mais si je sentais de nouveau cette boule dans mon ventre, je saurais faire face. »
Frédéric Matwies, « Il y avait un monstre en moi », éditions Michalon, 17 euros.
*Co-auteur avec Pacale Chapaux-Morelli de "la manipulation affective dans le couple - Faire face à un pervers narcissique" (Albin Michel)
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