Le 25 novembre a lieu la journée mondiale contre l'élimination des violences faites aux femmes. Alors que les femmes se réunissaient ce samedi 24 lors de la marche de #NousToutes, il est nécessaire de s'intéresser au chemin qu'il faut parcourir pour passer de l'agression ou du viol au dépôt de plainte. Une chemin parfois long et difficile qui peut prendre des années.
Sandrine Rousseau, porte-parole et ancienne secrétaire nationale adjointe des Verts, mais aussi maîtresse de conférence en sciences économiques à l'université de Lille, a accusé en 2016 l'homme politique Denis Baupin de harcèlement sexuel. Les faits étant prescrits, un procès n'a pas pu avoir lieu.
En septembre 2017, elle a publié sur l'affaire un livre, Parler. Son combat a pris la forme d'une association du même nom.
L'association "Parler" organise des groupes de parole que sa présidente Sandrine Rousseau appelle des "groupes de copines", pour aider les victimes à se reconstruire et à faire un chemin pour sortir de l'enfermement.
Selon les cas de figures, ces femmes viennent d'elles-mêmes après avoir entendu parler de la structure. Parfois, elles sont orientées par des médecins ou des psychologues, ou par des associations d'urgence qui n'ont pas de groupes de parole de ce type.
De nombreuses femmes ont réussi à faire le chemin vers le dépôt de plainte après être passées par l'association Parler, même 20 ans après les faits, comme le raconte Sandrine Rousseau.
L'association avait mis en place un site internet pour recouper des noms de violeurs récidivistes entre victimes. Mais le projet a été stoppé par la Commission Nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Le dossier devait passer en commission le 8 novembre et a été reporté à une date ultérieure sans plus de précision. Sandrine Rousseau pense "qu'il y a beaucoup de peurs autour de tout ça". Nous l'avons interrogée sur sa démarche.
Terrafemina : Pourquoi avoir fondé l'association Parler ?
Sandrine Rousseau : J'ai fait un constat personnel. En portant plainte moi-même, je me suis aperçue combien il était non seulement difficile mais destructeur de subir le parcours entre le dépôt de plainte et la justice. Et je me suis dit que c'était un parcours très compliqué mais qu'il fallait quand même faire parce que c'est un parcours de reconstruction. Il y a un parcours de destruction, puis de reconstruction.
Dans l'affaire Baupin, ce qui a été très important, c'était de pouvoir appeler les copines et d'être dans un groupe. De pas être seule face à ça. Et donc je me suis dit que ce n'était pas possible de demander aux femmes de parler et de les laisser seules.
S.R : C'est une charte assez commune. J'ai regardé les chartes de plusieurs associations comme les Alcooliques anonymes ou d'autres associations de femmes victime de violences. Le but, c'était d'adopter des principes un peu élémentaires de confidentialité de bienveillance.
S.R : Est-ce qu'elle se tournent vers les proches ? Ce n'est pas sûr. Dans la plupart des cas, le premier réflexe, c'est de se retourner sur soi-même et de se renfermer. Après pourquoi on ne va pas tout de suite à la police ? Parce que c'est compliqué d'aller à la police, on a très peur, on ne comprend pas ce qui s'est passé. Mettre des mots sur ce qui s'est passé, ça peut prendre du temps.
Ce n'est pas parce qu'on est victime d'un viol qu'on comprend tout de suite qu'on est victime d'un viol. Il y a un temps de compréhension. Et mettre les mots, cela fait partie du processus mais ce n'est pas immédiat. Surtout quand celui qui l'a fait fait partie des proches, des amis, de la famille.
C'est très difficile de mettre le mot "viol". Souvent, on a comme idée le type qui nous attend dans un souterrain alors que c'est une configuration assez faible en fait...
Donc quand c'est un ami ou un copain, la première réaction, c'est de se demander : "Qu'est-ce que j'ai fait pour provoquer ça ?". Il y a toute une remise en cause de sa propre attitude. Et ce sont des choses qui déstructurent et qui font beaucoup de mal aux femmes parce qu'elles se posent beaucoup trop de questions et cela les empêche d'aller au commissariat, d'aller faire des constatations, de garder les preuves.
Le premier réflexe qu'elles ont c'est une remise en cause alors que ça ne devrait pas du tout être ça. Ça devrait être : "Il n'avait pas à faire ça, point. Je vais au commissariat."
Cela passe par un travail dans la société, d'en parler plus. S'il vous arrive quelque chose dont personne ne parle jamais, vous avez toute une phase où vous vous demandez ce qu'il s'est passé.
S.R : Bien sûr, c'est un pas. D'ailleurs, c'est un pas qui n'est pas si facile que ça à franchir parce qu'il y a beaucoup de femmes qui hésitent. Parfois, elles ont très peur, certaines annulent au dernier moment, d'autres mettent du temps à entrer dans la salle.
C'est un pas vraiment important qui permet d'en faire d'autres derrière et qui est important pour la reconstruction. C'est difficile d'aller vers une association. Surtout imaginez si vous avez quelque chose que vous n'avez jamais dit à personne...
Et là, vous vous retrouvez dans un groupe. Vous paniquez, vous ne voyez pas du tout comment cela va être possible d'en parler. Et puis après, il y a aussi une autre peur. Les femmes vivent souvent dans l'idée qu'elles ont trouvé une forme de stabilité, même précaire, même avec leurs crises d'angoisses, leurs cauchemars, leur dépression. Elles ont dans l'idée qu'elles ont un équilibre et que le moindre truc peut le perturber.
Mais en fait, ce n'est pas un équilibre. C'est une survie. Et c'est cela aussi qu'il faut déconstruire.
Quel est le parcours de ces victimes après en avoir parlé ?
S.R : Il y a des victimes qui vont bien, d'autres qui vont moins bien. Et donc c'est ça qui est intéressant : c'est que cela montre aux victimes qui ne vont pas bien, que, certes, on reste victime parce que ce qu'on a vécu ce l'on a vécu, on ne peut pas l'effacer avec une gomme magique. Mais par contre, cela montre qu'on peut aller bien après. Voire même très bien.
Et ça c'est vraiment important. Quand on va mal et quand on est au fond du trou, on s'imagine qu'il n'y a pas d'issue.
Il y a une femme dans la dernière réunion à Lille qui venait pour la deuxième fois qui a dit cette phrase : "Moi quand je suis venue la première fois, j'avais l'impression d'être au fond d'un puits avec une chape de plomb au sommet du puits. Et je ne voyais pas la lumière. Et là maintenant, c'est la deuxième fois que je viens, je suis toujours au fond du puits, mais la chape de plomb s'est enlevée. Je vois la lumière. Maintenant, il me reste à trouver la manière de grimper les parois du puits"
Et c'est vraiment ça : ça n'est pas miraculeux mais à chaque fois, on enlève un peu du noir qui entoure les violences.
S.R : On n'encourage absolument personne. L'idée n'est pas d'imposer quoi que ce soit. Par contre, dans les réunions, on s'interroge sur pourquoi on ne porte pas plainte. Et on se dit : "Est-ce que ces raisons sont bonnes ?". Il n'y a aucune obligation.
S.R : Il y a plein de problèmes. Ça n'est pas le seul, mais ça en fait partie. Il faut des lieux d'accueil pour ces femmes, c'est très important. Il y a aussi un gros problème avec la justice. Pour moi, tant qu'on a pas réglé ça, on n'avance pas.
S.R : En France, il n'y a jamais eu de condamnation un peu emblématique. Mais ça, c'est très important. Aux États-Unis, par exemple, il y a Bill Cosby qui a été condamné, en Angleterre, il y a un présentateur de télévision très célèbre. Ça c'est un message très fort envoyé qui dit "regardez ça, ce sont des comportements qui ne sont pas possibles."
En France, il n'y a jamais rien eu. Le seul message envoyé aux femmes c'est : "Ne parlez pas sur les réseaux sociaux, allez en justice, mais en justice, vous perdrez".
Donc ça n'est pas possible d'entendre ça et d'avoir un tel déni de justice. Pour moi, il y a vraiment un sujet aujourd'hui autour de la justice. Et ça il faut vraiment qu'on le prenne à bras le corps.
Quand j'ai porté plainte, c'était prescrit. Mais grâce à cette affaire Baupin, cela a permis de faire doubler les prescriptions à six ans, parce que trois ans, c'est extrêmement court. C'est mieux. Pour moi, il n'y a pas eu de procès.
S.R : Aujourd'hui, ce qui m'est arrivé, je n'y peux rien. Mais maintenant au moins, cela peut servir à d'autres femmes. Donc j'irai jusqu'au bout pour faire évoluer les choses.
S.R : Pour celles qui viennent d'être victimes, il faut vraiment garder les preuves. Parce que le premier réflexe de ces femmes, c'est de détruire les preuves. Une femme violée, elle va jeter ses sous-vêtements, ses vêtements, elle va brûler ses draps. On voit des comportements assez incroyables.
Leur dire aussi qu'il est probable que leur agresseur ou leur violeur soit récidiviste. Avec les nombreuses femmes que je reçois, je n'ai jamais vu un seul homme ne le faire qu'une seule fois. Ce sont des criminels récidivistes. Et que pour tout autre délit ou crime, on n'hésiterait pas : on irait déposer plainte. Donc il y a un enjeu pour arrêter ces personnes.
On peut leur dire aussi qu'il y a des lieux de bienveillance. L'idée, c'est d'avancer dans le non jugement et de poser les choses. Donc qu'elles n'hésitent pas à venir [rencontrer l'association PARLER]. C'est fait pour elles, et de ce que je vois, cela fait quand même du bien.
Il faut dire aux femmes qu'elles ne sont pas seules. Quand on rentre dans un groupe, on s'aperçoit qu'on est nombreuses. Et tout ce qu'on pense vivre comme unique, toutes les questions qu'on se pose, on s'aperçoit que tout le monde les partage et que le problème, ce n'est pas nous.
Si vous êtes victimes de violences conjugales, vous pouvez appeler le numéro d'urgence 3929
Si vous souhaitez contacter l'association Parler sur Twitter ici , sur Facebook ou par mail : associationparler@gmail.com
Si vous avez été victime d'un viol, vous pouvez contacter SOS Viols-Femmes-Informations sur le numéro gratuit et anonyme : 0 800 05 95 95.