Société
Pourquoi l'article 2 du projet de loi contre les violences sexuelles ne passe pas
Publié le 14 mai 2018 à 13:58
Par Marguerite Nebelsztein
Le groupe féministe Groupe F a lancé une lettre ouverte et une pétition signée par 250 personnalités pour le retrait de l'article 2 du projet de loi contre les violences sexuelles porté par Marlène Schiappa. Il lui reproche de transformer le crime de viol sur mineur en simple délit.
Le projet de loi "renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes" de Marlène Schiappa et qui arrive lundi 14 mai à l'Assemblée Nationale est critiqué par les mouvements féministes. Le projet de loi "renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes" de Marlène Schiappa et qui arrive lundi 14 mai à l'Assemblée Nationale est critiqué par les mouvements féministes.© Getty Images
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C'est une décision qui avait outré la France. A Pontoise en septembre 2017, la cour d'assises avait déclaré consentante une fille de onze ans ayant eu une relation sexuelle avec un adulte de 28 ans. A l'époque, la justice avait considéré que le viol n'était pas caractérisé par "la contrainte, la menace, la violence et la surprise". On avait alors découvert le vide concernant le consentement des mineur·e·s. Une réforme semblait donc indispensable, mais le débat autour de l'âge minimum entre 13 et 15 ans divisait le gouvernement, les juristes et les militant·e·s.

Rétrogradation du viol de crime à simple délit ?

Le texte "renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes" qui résulte de ce débat arrive ce lundi 14 mai à l'Assemblée Nationale. Mais il pose déjà problème pour les féministes. En effet, le projet de loi porté par la secrétaire d'État chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes Marlène Schiappa prévoit dans son article 2 la création d'une atteinte sexuelle avec pénétration, ce qui est inacceptable pour le Groupe F, groupe féministe fondé par Caroline de Haas entre autres, et les 250 signataires d'une pétition directement adressée à Emmanuel Macron. Parmi eux·elles, des militantes féministe, des professionnel·es de la protection de l'enfance, des médecins, des élu·e·s ou des personnalités comme l'actrice Karin Viard ou l'ancienne ministre des droits des femmes, Yvette Roudy. La pétition s'accompagne du hashtag #LeViolEstUnCrime sur les réseaux sociaux.

En l'état, le texte leur fait craindre une correctionnalisation du viol, soit la transformation du viol qui est un crime pour le transformer en atteinte sexuelle (soit un simple délit) et qu'il soit jugé en correctionnelle et non aux assises. S'il insiste sur la vulnérabilité d'un·e mineur·e de moins de quinze ans, les notions de contrainte et surprise étant caractérisées "par l'abus de vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour consentir à ces actes", le texte écarte les condamnations automatiques.

© Youtube

"Il n'y a pas de maladresse dans l'écriture de l'amendement. Ils se sont dit que ça passeraient inaperçu, il a fallu qu'on aille chercher des personnalités" pour faire émerger cet article", explique Madeline da Silva, maire-adjointe en charge de l'enfance aux Lilas et militante au Groupe F. Pour elle, ce projet de loi n'est que de la communication et cet article lui semble alarmant : "Nous demandons le retrait de l'article 2. Il est dangereux pour les droits de l'enfant. Le gouvernement crée un nouveau délit punissable de dix ans. On nous le présente comme un progrès, mais dans les faits, une pénétration sur un enfant sera jugé en correctionnelle comme un délit mais plus en assises comme un crime". Elle ajoute : "Ce que l'on veut, c'est que le viol reste un crime et la seule manière c'est de créer un seuil d'âge malgré ce que veut faire croire le gouvernement".

La problématique de la présomption d'innocence

Jugé potentiellement inconstitutionnelle, la première mouture du texte écrit par le gouvernement avait été critiquée par le Conseil d'État, portant atteinte à la présomption d'innocence. Il précisait alors "constituera un viol tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur un mineur de quinze ans par un majeur, lorsque celui-ci connaissait ou ne pouvait ignorer l'âge de la victime". Marlène Schiappa avait dû revoir sa copie.


Le Groupe F avait demandé une présomption simple concernant un viol sur mineur·e de moins de quinze ans, la défense pouvant apporter preuve du contraire et le viol n'étant pas retenu de manière automatique. Il n'y aurait donc pas eu atteinte au droit de la défense dans ce cas-là pour le mouvement féministe. Pour Marlène Schiappa, dans le texte actuel, "la philosophie est là" mais en "des termes qui respectent l'architecture de notre droit pénal et les principes constitutionnels" selon des propos rapportés par l'AFP.

Un texte "qui ouvre la porte à des milliers de Pontoise"

L'article 2, jugé trop flou par les députés, avait été modifié par la commission des lois de l'Assemblée Nationale mercredi 9 mai. Pour Madeline da Silva, "le texte va soit disant renforcer les peines, on passerait de cinq à sept ans de peine de prison à dix ans, mais ça ne serait pas jugé comme un délit" et ajoute "il faut avoir en tête que l'article 2 ouvre la porte à des milliers de verdicts comme celui de Pontoise"

Sur le texte plus généralement, Madeline da Silva le trouve "en-dessous des attentes". Elle dénonce encore une fois le manque de moyens pour la mise en place de la loi. "Si les policiers ne sont pas formés, ça ne sert à rien, c'est une question centrale" alors que le projet de loi porte aussi la création d'une contravention pour outrage sexiste. Cette amende pour harcèlement de rue est très critiquée, notamment par le Groupe F. "C'est du blablabla de com, on ne va pas mettre un policier derrière chaque femme", commente Madeline da Silva.

La loi prévoit également l'allongement du délai de prescription à trente ans pour les viols commis sur mineur·e, contre vingt ans après la majorité aujourd'hui. Le Groupe F, par la voix de Madeline da Silva, se dit quand même satisfait que le harcèlement en ligne soit pris en compte dans le projet de loi.

Edit mercredi 16 mai :

L'article 2 de la loi Schiappa a été voté hier à l'Assemblée nationale malgré des débats houleux et parfois des remarques désobligeantes. Le député Les Républicains Fabien di Filippo s'est permis cette tirade : "Madame la ministre, ce qui est irresponsable et incompréhensible pour les Français, c'est que vous puissiez manquer à votre parole et faire passer votre conception libertaire des rapports sexuels, y compris entre mineurs et majeurs, avant la protection de nos enfants!". Ce qui a déclenché une suspension de séance.

Alors que la loi devait faire l'unanimité dans la lutte pour les droits des femmes et des enfants, personne n'est satisfait. Les Républicains dénoncent à l'AFP "une réponse fragmentaire [...] qui ne pose pas d'interdit clair". Il en va de même pour les Socialistes, les communistes et la France Insoumise. Cette dernière déclare que la loi envoie un mauvais "signal à la société".

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