"En bonne sexperte gastronome, mon rêve serait que l'on parle de sexe comme on parle de cuisine", entame Maïa Mazaurette sur la première page de son nouveau livre, La Vulve, la Verge et le Vibro, paru aux éditions de La Martinière le 28 janvier. Trois "V" qui ouvrent à plus d'une centaine de "mots du sexe" définis par ses soins, et illustrés par ceux d'Alex Viougeas. Un bouquin aussi instructif qu'esthétique, drôle que rythmé, excitant que savamment documenté.
On ne le lit pas d'une traite, et tant mieux, on prend plaisir à revenir feuilleter ce dictionnaire (non-exhaustif) particulier. Un terme qui, d'ailleurs, ne satisfait pas vraiment son autrice, aussi chroniqueuse dans les colonnes du Monde, au micro de France Inter avec Nagui dans La Bande originale, et chez Yann Barthès dans l'émission Quotidien sur TMC.
Quand on s'entretient avec Maïa Mazaurette, elle nous précise ainsi préférer parler d'un "guide pour impressionner ses ami·e·s en soirée". Il y a clairement de ça : même les plus érudit·e·s ne pourraient se targuer de ne rien apprendre au fil des pages de son ouvrage. Nous, on l'a pris comme une invitation à réinventer certaines pratiques, à en découvrir d'autres, à questionner nos acquis et à partager ces réflexions et envies avec celui ou celle qui, justement, partage notre lit. Echange.
Maïa Mazaurette : Oui, je pense. Il y a une apparence de libération mais dans le couple, dès qu'il y a du sentiment et de l'affecte, on voit bien qu'il y a une espèce de régression. On peut tous se créer un compte anonyme sur Reddit et raconter toutes les choses que l'on veut de manière aussi crue qu'on le souhaite. Mais le jour où on est au lit avec une personne qu'on aime, qu'on veut impressionner ou ne pas froisser, on voit que toutes ces avancées se détricotent. Et, non seulement on a du mal à annoncer ses fantasmes, ce qu'on voudrait faire, mais on a aussi du mal à poser les limites, ce qu'on voudrait ne pas faire. Parce qu'on a peur de décevoir l'autre.
La libération de la parole se heurte beaucoup à la question des sentiments. Ce n'est pas tant une question de timidité que d'image fantasmée qu'on a de l'autre et de soi-même. Dès qu'il y a des fantasmes qui sortent un peu des normes, là, d'un coup, ce n'est plus possible. Et avec la parentalité il y a encore autre chose qui s'ajoute à ce tabou. Il y a une sacralisation qui se construit, qui prouve qu'on n'a pas encore beaucoup avancé sur la question de "la mère ou la putain".
La question du tabou n'est pas une question en noir et blanc. Il y a des sujets qui ne sont pas tabous entre ami·e·s mais le deviennent passé 22h30 avec la personne qu'on aime. Attention à la chute des tabous purement théorique.
M. M. : Tous les mots sont des vrais mots. Après, c'est une question de sensibilité. Personnellement, je déteste les gros mots, je ne les emploie jamais. Il y a des personnes qui trouvent ça hyper érotique, mais moi, ça me laisserait complètement froide car j'aurais l'impression qu'on voudrait dégrader ou dire du mal de mes parties génitales. Cependant, j'ai été surprise du plaisir que j'ai eu à en mettre certains dans le livre, comme "bite", "chatte", "couilles".
Le côté infantile en revanche - "zizi", "kiki" "quéquette" - je suis moins fan... Et en même temps, qui suis-je pour dire ça ? Ça pourrait vite devenir classiste de critiquer son utilisation. Il y a des personnes aussi qui trouvent que le vocabulaire médical, qui tend à l'emporter aujourd'hui dans le discours public, les laisse complètement de marbre.
Pourtant, j'ai vraiment l'impression que l'emploi de "pénis", "vagin", "vulve", "clitoris" pouvait paraître très médical il y a encore 15 ans, alors qu'aujourd'hui, tout le monde s'en empare. On réinjecte un peu de chaleur et de sentiments là-dedans. C'était médical et ça devient sexy. C'est en tout cas ce que je ressens.
M. M. : Oui, effectivement. Comme il s'agit d'une activité assez fondamentale - enfin pas pour tout le monde, il y a bien sûr des personnes asexuelles - il est dommage de le restreindre à une case purement pratique, comme c'est souvent le cas. Il devrait y avoir des pages "sexe" dans les journaux comme des pages "économie". Mais on y vient. Sur le plateau de Quotidien par exemple, le fait de pouvoir parler de tout ça à 20 heures, une heure de grande écoute, où les enfants sont devant la télé, c'est chouette.
M. M. : Ce sont des métaphores qui marchent bien, d'associer les besoins fondamentaux de se nourrir et les besoins sexuels qui se manifestent chez la plupart des gens. En cuisine, l'avantage, c'est que chacun élabore ses propres recettes, les goûts d'une personne ne sont pas ceux d'une autre. J'aimerais qu'on puisse davantage parler de sexe de cette façon.
Dans son livre qui s'intitule Futur, Antoine Buéno écrit que nos ancêtres préhistoriques avaient sans doute du plaisir à manger, mais que l'invention de la gastronomie avait pris du temps. Du côté de la sexualité, c'est un peu la même chose : en Occident, on n'a pas encore complètement inventé sa gastronomie. Je regrette que l'on n'ait pas un érotisme aussi construit que celui qui a lieu dans la bouche. Avec plein de recettes, plein de pratiques, des choses que l'on partagerait avec ses ami·e·s.
On va y arriver un jour ou l'autre, mais cela pose les questions de la transmission, du tabou encore aujourd'hui, et surtout des travailleur·se·s du sexe. C'est difficile de construire un érotisme plus sain et plus intéressant que celui qui existe actuellement si on ne valorise pas les personnes dont c'est le métier de pratiquer ce genre de choses. Ce sont les prostitué·e·s qui devraient être en première ligne, et j'espère qu'un jour on les reconnaîtra mieux qu'ils·elles ne le sont aujourd'hui.
M. M. : Le sexe "pimenté", c'est un truc de feignant. Les gestes techniques du plaisir, qui demandent du savoir, sont plus compliqués que de sortir la cravache et le martinet. Le fait de passer par des pratiques dites "pimentées", c'est plus facile. C'est plus facile de faire un quickie de 30 secondes que de faire l'amour pendant des heures. C'est plus facile d'insulter quelqu'un que de faire de super compliments avec de super mots pour cette personne. Pour certains hommes, c'est aussi une manière de s'inventer une compétence sexuelle qui ne demande pas tant de compétence que ça. Le sexe "pimenté", c'est un peu le sexe pour les nuls.
Ce qui est drôle, c'est qu'une génération entière de mauvais amants ont essayé de nous faire croire que le talent au lit, c'était ça. Et c'est une arnaque totale. C'est comme si on ratait un plat et qu'on disait "non en fait, c'est ça, la vraie recette". Sous-entendu la version ratée. Ça relève d'une sorte d'arrogance.
Mais je n'en veux pas particulièrement à la génération de mes parents d'avoir créé une espèce de prototype du bon amant qui serait un petit peu violent. Les femmes se sont beaucoup réapproprié cela aussi, parce que c'est plus facile, quand on a mal, de dire qu'on l'a choisi, que d'admettre qu'on est dépassée par une situation culturelle. C'est dur de résister, quand il y a Fifty Shades of Grey. Ça demande énormément de confiance en soi. Mais tant qu'on peut en parler, on va y arriver.
M. M. : Le problème, c'est la manière dont on propose de sortir de l'ordinaire. C'est assez rare que les gens parlent de "pimenter leur vie sexuelle" et qu'ils parlent de méditation orgasmique. L'emploi même du mot piment est révélateur : le piment, ça pique.
Pour moi, les pratiques qui ne font pas mal et fonctionnent sur aucune émotion négative appartiennent à une zone du "sexe vanille" qui est beaucoup plus vaste qu'on ne veut bien l'imaginer. Et qui n'est pas cartographié, car encore aujourd'hui la plupart des personnes qui inventent les codes de la sexualité vont aller fouiner du côté du sexe pimenté, et non du côté du sexe vanille.
M. M. : Oui. Typiquement, avec les mots "circlusion" (ou le fait pour la femme de "circlure", d'enserrer le pénis de l'homme avec son vagin, ndlr) et "power bottom" (un concept qui implique de recevoir une pénétration de manière active, ndlr), rien que de savoir que ça existe induit forcément des pratiques différentes.
L'avantage de faire un objet-livre, c'est aussi d'avoir un support physique dans son couple pour aborder ce genre de choses. Si le bouquin est là, il est plus facile d'entamer la conversation avec l'autre en disant "regarde le mot circlusion, je ne savais pas que ça existait. Et si ce soir, on faisait une circlusion au lieu d'une pénétration ?". A priori, ce ne sera pas le même rapport sexuel. On a tendance à oublier à quel point le langage, les mots, vont structurer notre pensée et induire des choses qui ne sont pas de l'ordre de la pure sémantique.
Le fait de qualifier de "trou", un muscle, comme je l'aborde dans mon livre précédent (Sortir du trou, lever la tête, ed. Anne Carrière) est également complètement délirant. Et ce n'est pas le même rapport d'un pénis dans un vagin si l'on pense que son vagin est un trou ou si l'on pense que c'est un muscle. Ça n'a rien à voir, ni pour soi ni pour son partenaire. C'est intéressant de faire attention à ce qu'on se met dans la tête soi-même. De se protéger de vieux réflexes et d'un héritage culturel, qu'il faut connaître mais qu'on a le droit de refuser. Ça demande une grosse énergie, mais il faut résister.
M. M. : A plusieurs, tant qu'à faire ! Enfin, tout·e seul·e pour impressionner les gens en soirée, car s'ils l'ont lu aussi, on n'impressionnera plus personne (rires). A deux pour pouvoir mettre en pratique, dans la mesure où ça peut donner quelques idées. Et puis, cela permet aussi de faire différemment des choses qu'on a l'impression de connaître par coeur...
La Vulve, la Verge et le Vibro, de Maïa Mazaurette. Éditions de la Martinière, 192 pages. 20 euros