Unorthodox ("Peu orthodoxe", en français) est sorti sur Netflix le 26 mars. En France, la mini-série en quatre parties de 55 minutes se place déjà dans le top 10 des programmes les plus regardés. La bande-annonce intrigue et aborde un sujet qu'on connaît peu : la communauté juive hassidique de Brooklyn et la place des femmes en son sein. L'histoire prend place à Williamsburg, coin désormais hype du quartier de New York qui, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, est aussi le lieu de refuge des praticant·e·s du Satmar, un mouvement ultra-orthodoxe né dans un village hongrois éponyme. Les populations persécutées par le nazisme se sont retrouvées outre-Atlantique pour perpétuer, voire renforcer, leurs croyances autour d'un mot d'ordre : "Recréer les six millions de vies perdues dans l'Holocauste". Et se reconstruire chaque jour autour de ce traumatisme.
C'est justement le problème que rencontre Esther "Esty" Shapiro, l'héroïne de 19 ans : un an après son mariage, elle n'est toujours pas enceinte. Les rapports sexuels sont douloureux, elle n'y est pas préparée (elle apprend quelques jours avant la cérémonie seulement qu'elle possède un "deuxième trou" qui mène à son vagin). Son entourage lui fait sentir que c'est elle, qui ne fonctionne pas comme il faudrait. Tout le poids de la création de la famille - pire encore, de la perpétuité de son peuple - repose sur ses épaules. Et à côté de ça, elle dispose de libertés très limitées. Elle n'a pas le droit de chanter en public, ni d'étudier, ni de prendre la moindre décision sans l'accord de son mari.
Un jour, Esty tombe enceinte. Elle est heureuse, d'une part elle porte la vie, de l'autre sa belle-famille va enfin la laisser tranquille. Elle s'apprête à l'annoncer à son époux mais il ne lui en laisse pas le temps : il veut divorcer et se remarier puisqu'elle ne donne pas d'héritier. C'en est trop, et le déclic pour sa fuite vers Berlin.
La destination n'est pas anodine : sa mère y vit depuis qu'elle a quitté Williamsburg. Et puis c'est aussi là-bas que le destin tragique des siens a été scellé. S'y rendre est un affront inconscient envers sa communauté, qui vit le présent pour honorer le passé, et une épreuve pour elle, qui semble chavirer à chaque évocation de l'Histoire et vision des symboles du pays. Elle pense tout quitter pour une nouvelle vie, c'est sans compter l'avis du rabbin, pour qui la brebis égarée (et enceinte) doit absolument rejoindre le troupeau, et qui mettra tout en oeuvre pour la rapatrier, quitte à envoyer un cousin douteux.
Shira Haas interprète le personnage principal avec une intensité désarmante. Un talent brut qui n'est pas isolé : tout le casting d'Unorthodox est brillant. Aux côtés de l'actrice israélienne, dans le rôle de Robert, Aaron Altaras, un comédien allemand qui joue aussi l'un des deux footballeurs de Mario, de Marcel Gisler, l'idylle gay qui a bouleversé la critique. L'héroïne Esty le rencontre dans un café, puis celui-ci la présente à ses ami·e·s musicien·ne·s. Ils se baignent dans un lac, sortent en boîte et vivent ensemble une romance pas vraiment utile à l'histoire, si ce n'est qu'elle laisse entrevoir un futur plein de possibilités exaltantes.
D'ailleurs, dans le livre dont s'est inspirée la série, ces rencontres installées dans le Berlin cool n'existent pas. Unorthodox: The Scandalous Rejection of My Hasidic Roots, l'oeuvre autobiographique de Deborah Feldman, qui a réellement fui sa famille pour s'exiler dans la capitale allemande, colle aux fêtes new-yorkaises mais ça s'arrête là. La vie d'Esty à Berlin "est totalement fictionnelle", confient Anna Winger et Alexa Karolinski, les co-réalisatrices de la série, dans le making-of disponible sur Netflix. Offrir des codes pop au récit réel pour exacerber les différences entre les deux mondes ? Peut-être. Ce qu'on regrette, c'est de ne pas en apprendre davantage sur les personnages berlinois, purement inventés. Dasia, la confidente yéménite, Yaël, la violoniste israélienne conflictuelle et même Léah, sa mère, diabolisée par les hassidiques depuis qu'elle a choisi de quitter son mari alcoolique et leur mode de vie restrictif.
Ce sont pourtant eux qui questionnent ses croyances et incitent la protagoniste à tenter l'audition pour obtenir une bourse d'étude à la Philharmonie de Berlin. Là aussi d'ailleurs, la symbolique est forte. Car chez ces ultra-orthodoxes, les femmes ne peuvent pas chanter en public devant des hommes. "Elles seraient considérées comme immodestes, voire séductrices", livre Esty après l'interprétation d'un chant en yiddish, à couper le souffle. En s'affranchissant de ces carcans dans sa langue maternelle, elle signe une rupture avec les interdictions qui entourent la religion, mais pas son héritage, qu'elle continue de chérir.
L'histoire de Déborah Feldman avait déjà inspiré d'autres oeuvres. On l'a découverte en 2019, dans #FemalePleasure, un documentaire bouleversant qui étudie la place des femmes et de leur plaisir dans le christianisme, le judaïsme, l'islam et le bouddhisme, et dénonce l'oppression sexuelle qu'elles subissent. Son témoignage compare le besoin de tout quitter, accompagnée de son fils, à un instinct de survie. Pour l'actrice Shira Haas, l'adaptation de ses mémoires à l'écran est plutôt une ode au "droit des femmes de posséder une voix", littéralement. Pour ça, et cette fenêtre inédite sur un univers si rarement documenté, on applaudit.