C'est une "moyenne" glaçante qui parle pour elle-même. Selon une récente enquête menée par l'Ifop (l'Institut français d'opinion publique) pour la Fondation Jean Jaurès et la Fondation européenne d'études progressistes, six européennes sur dix ont déjà été victimes de violences sexuelles et sexistes au travail. Les agressions et discriminations qui s'observent des transports en commun à la rue se perpétuent également dans la vie professionnelle, haut lieu s'il en est des rapports de pouvoir - et des nombreux abus qu'ils sous-entendent.
Cette recherche relayée le 12 octobre dernier a pris place en France, en Allemagne, en Espagne, en Italie et au Royaume-Uni, soit les cinq plus grands pays de l'Union européenne. Des questions ont ainsi été posées à pas moins de 5026 jeunes femmes, à raison d'un millier de sondées par pays. Constat ? Les résultats laissent entendre une flagrante banalisation des gestes déplacés, "avances", commentaires obscènes, remarques hors-propos sur la tenue, mais aussi du harcèlement physique et du "harcèlement psychologique à visée sexuelle". Pour la Fondation Jean Jaurès, ces chiffres sont plus qu'accablants, deux ans après le scandale Weinstein...
Et on veut bien le croire. Car parmi les sondées, 11% déclarent avoir déjà subi "un rapport sexuel 'forcé' ou 'non désiré' avec quelqu'un de leur milieu professionnel dont 9 % en France". Les auteurs de l'enquête n'hésitent pas à rappeler qu'au sein d'un tel contexte professionnel, ces agressions peuvent émaner d'un rapport "de subordination, d'intimidation ou de manipulation" entre la victime et l'agresseur.
Une observation très factuelle en vérité. Car c'est toute une variété d'abus qui traversent la vie professionnelle. Cela va, pour 9 % des Européennes interrogées, de la pression psychologique pure et dure, sur fond de promesse d'embauche ou de promotion, "afin d'obtenir un acte de nature sexuelle" de la part d'un supérieur hiérarchique, soit ce que l'on appelle très vulgairement "la promotion canapé", aux remarques dérangeantes de simples collègues - pour 46 % des anonymes interrogées.
Parmi ces nombreuses victimes d'oppressions diverses, moins de 18% affirment ainsi avoir déjà subi un "contact physique non désiré" durant leurs heures de travail, sur une "zone génitale ou érogène". C'est beaucoup, d'autant plus que 42 % des Européennes de moins de 30 ans sondées disent avoir été confrontées à (au moins) une forme de violences sexistes et sexuelles au cours des douze derniers mois. Mais par-delà ces chiffres, l'enquête de l'Ifop met également en avant des situations trop peu médiatisées. En nous expliquant que 71 % des femmes non-salariées qui aident leur conjoint ont déjà été victimes d'agissements sexistes par exemple, au sein de lieux "qui peuvent être marqués par la confusion du caractère intime et professionnel", comme le relève Juliette Clavière, la co-instigatrice de l'enquête. Ou encore, en relevant les abus dont font état les femmes qui travaillent dans des lieux ouverts au public (comme les cafés par exemple), de la part... des usagers et des clients.
Ainsi pour Juliette Clavière, bon nombre "d'angles aveugles", de situations minoritaires tout aussi édifiantes, méritent encore d'être approfondies et étudiées, au sein de ce qui s'apparente à un véritable "cumul des violences", exacerbé selon le lieux de travail, le contexte, les caractéristiques de la profession... et le profil des victimes. Par exemple, ce sont systématiquement les femmes les plus jeunes qui rapportent le plus d'atteintes sexistes ou sexuelles, indique l'enquête. Parmi elles, on observe une "survictimation" des femmes bisexuelles et lesbiennes : 36 % d'entre elles ont déjà subi une agression au cours des douze derniers mois.
Pour la chercheuse, c'en est trop. Il est grand temps d'agir. En diversifiant les interlocuteurs auxquels la victime peut s'adresser par exemple. En mettant en place de nombreux points d'écoute et de recours. En multipliant les moyens de sensibilisation. En accompagnant mieux les victimes. "La confiance dans ces situations constitue un enjeu majeur. La violence commise peut avoir conduit à une rupture totale de confiance pour la victime vis-à-vis du monde professionnel", déplore la chercheuse. Derrière cette réalité alarmante s'immisce une fatalité contre laquelle il s'agit de lutter. Sans plus attendre.