"Toutes les femmes de mon service ont couché avec leur superviseur. Pour [elles], c'est une question de survie et rien d'autre", a déclaré une employée lors d'un rapport du Worker Rights Consortium (WRC) sur les conditions de travail au sein de Nien Hsing Textile, un groupe d'usines situé dans l'état africain du Lesotho. "Si vous dites non, vous n'obtiendrez pas le poste ou votre contrat ne sera pas renouvelé." Un témoignage qui n'est pas isolé, puisque 140 autres ouvrières ont confié avoir été victimes ou témoins de ce macabre rituel.
La plupart sont des couturières qui assemblent les jeans américains signés Levi's, Lee ou encore Wrangler. Et si nombreux des agresseurs sont des locaux (principalement des supérieurs mais certaines accusent également plusieurs de leurs homologues masculins), les employées ont aussi fait état de situations de harcèlement et d'agressions sexuelles perpétrées par des managers expatriés, ou en visite sur le site. "Les cadres de nationalité étrangère donnent des fessées aux femmes et leur touchent les seins", rapporte l'une d'elle. "Une fois, nous avons surpris un manager [expatrié] en train de faire l'amour avec une ouvrière dans l'usine. Les femmes dans ces relations sont promues facilement et reçoivent beaucoup de bonus."
Cet abus de pouvoir a été dénoncé plusieurs fois par celles qui le subissent, sans conséquences. Une victime déplore d'ailleurs l'inaction glaçante qui a fait suite à sa plainte auprès du personnel : "Ils ont dit qu'ils allaient arranger ça. Aucune mesure n'a été prise. Puis j'ai laissé tomber parce qu'ils n'ont rien fait." Pire, on les force à mentir lors des audits effectués par les entreprises qui collaborent avec l'usine : "Les [clients] étaient sur place, et on nous a menacés que si [quelqu'un disait] la vérité sur ce qui se passe vraiment, cela pourrait mettre notre emploi en danger." Une situation aberrante contre laquelle les marques dont la production se fait à Nien Hsing Textile s'engagent aujourd'hui fermement.
Le vice-président du développement durable de Levi Strauss & Co, Michael Kobori, a ainsi déclaré à The Guardian que la société s'approvisionnait dans les usines du Lesotho depuis 10 ans, et que dès qu'elle a reçu les conclusions du WRC, elle a "demandé à Nien Hsing de prendre immédiatement une série de mesures pour répondre aux allégations, y compris des changements dans la dotation en personnel et la gestion des installations mentionnées dans le rapport." Pour le vice-président Scott Deitz de Kontoor Brands, propriétaire de Wrangler et Lee, la situation est - heureusement - tout aussi urgente. L'homme d'affaires avoue ainsi que son entreprise est "profondément, profondément préoccupée" par ce rapport.
Levi Strauss & Co, Kontoor Brands et The Children's Place ont ainsi signé des accords pour mettre fin au harcèlement sexuel généralisé au sein de Nien Hsing. S'inaugurera alors un programme sur deux ans, en collaboration avec l'Agence des États-Unis pour le développement international, qui établira un groupe d'enquête indépendant auprès duquel les travailleuses d'usine pourront exprimer leurs préoccupations. Une façon, on l'espère, d'exiger et de contrôler l'amélioration des conditions de travail des femmes sur place. "Nous nous engageons à protéger les droits des travailleurs et à favoriser le bien-être dans les usines de tiers fournisseurs, afin que tous les ouvriers de ces établissements, en particulier les femmes, se sentent en sécurité, valorisés et responsabilisés", ont annoncé les marques. Pour Rola Abimourched, directrice principale de programme au WRC, "ces accords révolutionnaires sont un exemple pour le reste de l'industrie du vêtement sur la façon de lutter contre le harcèlement et les abus".
De son côté, Richard Chen, président de Nien Hsing, a déclaré : "Nous nous efforçons d'assurer un lieu de travail sûr et sécurisé pour tous les travailleurs de nos usines". Le Global Fund for Women rappelle que 80 % des personnes travaillant dans les manufactures de textile autour du monde sont des femmes. Et dans la plupart des cas ces crimes très fréquents restent impunis. "J'espère que d'autres verront cela et s'en inspireront pour que nous puissions collectivement avoir un impact bien au-delà de n'importe quel pays", conclut Rola Abimourched.