Tom a 35 ans et a rejoint sa copine à Paris il y a 2 ans. Derrière lui, il a laissé, entre autres, son groupe d'amis qu'il connaît du collège. Une bande de potes proches avec laquelle il n'a pas perdu contact depuis, loin de là, mais la distance a forcément rendu les retrouvailles spontanées moins abordables. A quasi trois heures de route, difficile de se réunir pour un verre rapide après le boulot, ou de déjeuner le week-end sans devoir s'organiser plusieurs semaines à l'avance.
Et puis, au-delà de la situation géographique, la pandémie a de son côté décimé les occasions de se rapprocher de nouvelles personnes. On a dû pratiquer la distanciation sociale et s'auto-isoler rigoureusement pour se protéger, compliqué donc de nouer des liens inédits. Un contexte peu propice aux rencontres, admet-il, mais Covid ou non, le constat est le même : se faire des potes passé 30 ans, c'est la plaie.
"Il n'y a rien de réellement plus difficile qu'avant, ce qui est plus difficile, c'est moi", nous confie Tom par téléphone, de but en blanc. "Plus je grandis, moins je vais avoir l'occasion, et aussi moins l'envie, de recréer un nouveau cercle de potes. Parce que le mien est déjà très fort. C'est plus facile de parler avec ceux que j'ai déjà depuis des années. Ça demande moins d'effort. Peut-être aussi que je tolère moins les gens. Je m'accommode moins de ce que je considère comme des défauts chez les autres, et je crois que je les vois plus qu'avant."
Il poursuit avec franchise : "Ce serait aussi sortir de ma zone de confort que de me réinvestir dans une nouvelle relation amicale. Le cheminement pour devenir proche est long : on doit se rejoindre sur plein de choses, avoir un mode de pensée commun. Seulement, plus le temps passe, plus on a une personnalité forgée, un avis trempé sur les choses et c'est de plus en plus délicat de lisser les angles, d'accepter un point de vue différent. Adulte, on se met davantage de barrières. Ado, c'est plus simple : tout le monde est au même niveau."
Les événements de 2020 ont également influé sur les comportements. "On a perdu l'habitude de sociabiliser", affirme Tom. "Après un an à être confiné chez soi, on sent qu'il faut retrouver ce pli que, personnellement, j'ai peut-être un peu oublié". L'ambiance générale invite quant à elle peu à la camaraderie, ajoute le jeune homme. "Dans nos échanges, au fur et à mesure de la crise, la légèreté s'est estompée. Et parfois, ne pas aborder des sujets très sérieux manque pour créer ces liens."
Il aborde un dernier point : le temps et les priorités qui ont, elles aussi, changé au fil des années. "Le fait d'avoir un enfant en bas âge n'aide pas non plus. On passe plus de temps à s'en occuper, et donc moins à sortir. Ça et la situation sanitaire sont autant d'occasions loupées de côtoyer du monde", et par conséquent, de se rapprocher des autres.
Dans les colonnes du magazine Bustle, l'analyse du Dr William Chopik, professeur adjoint de psychologie à l'université d'État du Michigan, confirme le ressenti de Tom : "Lorsque les gens sont au lycée et à l'université, ils sont naturellement entourés de beaucoup de personnes avec lesquelles ils peuvent interagir et qui leur ressemblent. Mais la vie devient un peu plus compliquée quand on est adulte. Les personnes ont souvent un emploi à temps plein et beaucoup entretiennent également des relations amoureuses. Quel temps cela laisse-t-il pour se faire des amis ?"
La Dre Angela Carter décortique quant à elle les raisons qui expliqueraient la facilité avec laquelle les plus petit·e·s réussissent à se faire 18 copains-copines en une après-midi, quand les grand·e·s galèrent à ce qu'une connaissance daigne les rappeler.
"Pensez aux jeunes enfants que vous voyez au parc. Ils sont ouverts, ils acceptent, ils ne sont pas vraiment influencés par les normes de la société", décrit la psychologue à la BBC. "Ils n'ont pas d'expériences préalables que le monde leur envoie - par exemple, que quelqu'un de grand pourrait leur faire du mal. Les enfants ont ce que nous appelons des 'amitiés simples', parce qu'elles ne sont basées sur personne d'autre que 'cette personne-là'".
Avec les années en revanche, ça devient plus critique. Une étude récente révèle d'ailleurs les arguments qui justifient notre appréhension : on craint le regard de l'autre, on est trop exigeant·e, on a peur de se prendre un mur. Alors, on reste plus volontiers dans son coin. Pourtant, c'est prouvé, les amitiés sont essentielles à notre bien-être, physique comme mental. Et les moments de vie qui demandent de recommencer à zéro sur ce plan-là, plus fréquents qu'on ne pourrait le croire. Il serait donc judicieux de savoir comment s'y prendre sans se mettre la pression - et éviter de se retrouver solo si ce n'est pas ce qu'on souhaite.
A ce sujet, Tom l'avoue lui-même : si les choses (comprendre le coronavirus) avaient été différentes, il aurait aimé bosser sur de potentielles amitiés. Et surtout, que ces interactions soient plus simples dans sa petite trentaine. Quelques conseils peuvent toutefois encore l'aider.
Pour Madeleine DiLeonardo, thérapeute agréée, il n'y a pas trente-six-mille solutions : "L'étape la plus importante pour se faire de nouveaux amis est de se lancer", assure-t-elle à The Thirty. "Proposer de prendre un café avec un collègue de travail que vous aimeriez mieux connaître ou rejoindre un groupe dans votre communauté, comme une club sportif ou d'un autre intérêt particulier (pourquoi pas la poterie ou le tricot, ndlr), peut sembler gênant au début, mais c'est ainsi que vous rencontrez des gens. Tendez la main à vos connaissances, acceptez les propositions de sortie, participez à des ateliers et sortez de votre zone de confort !"
Elle ajoute : "Gardez simplement à l'esprit les éléments fondamentaux d'une bonne amitié, comme le fait d'être fiable, de montrer un intérêt sincère, de soutenir votre ami, de partager des expériences et de faire des efforts pour passer du temps ensemble." Et aussi : levez le pied des réseaux sociaux.
Autant de recommandations que l'on pratiquera dès le confinement levé, cela va sans dire, mais dont on saisit l'idée : plutôt que de rester en retrait ou de se morfondre devant nos écrans, on ose faire le premier pas. Une motivation et une authenticité qui seront certainement payantes. Et sinon, le confort de notre intérieur - comme nos ami·e·s au bout du fil - sauront du mettre du baume au coeur. Alors, après vous.