On pensait ne plus jamais avoir à téléphoner autant ! Dans notre vie personnelle comme au sein de notre sphère professionnelle, l'heure était plutôt aux discussions instantanées, aux tchats, aux espaces de conversations en ligne, groupées, limpides, discrètes, alignées en onglets, du côté d'applis et services populaires comme Hangouts, Slack ou Messenger. Tout juste s'était-on remis aux échanges "visio" (un brin gênants) via Skype et aux discutes sur Whatsapp. Oui mais voilà, un vieux de la vieille a fait son grand retour : l'appel téléphonique.
L'appel téléphonique n'a évidemment jamais vraiment (tout à fait) disparu, mais force est de constater que cette exceptionnelle période de confinement signe son retour dans nos quotidiens ultra-connectés. Logique qu'en un temps marqué par l'étonnant "regain de hype" du pain-maison, l'on ressasse des réflexes moins artisanaux, comme le bon vieux coup de fil. Ce n'est pas juste une impression, c'est un fait, et international avec cela.
Selon le New York Times, l'entreprise de télécommunications Verizon traiterait effectivement pas moins de 800 millions d'appels par jour depuis quelques semaines, soit "plus du double des appels passés le jour de la fête des mères". Une analogie amusante, et pertinente : manière si familière de conserver un lien avec sa famille et ses proches, l'appel téléphonique rapproche et rassure. Pour ainsi dire, il réconforte.
C'est d'ailleurs ce que nous explique le New York Times. La toute récente recrudescence d'appels serait due aux bienfaits de ces échanges "de vive voix" sur notre santé mentale. L'oreille collée au téléphone, l'on se sent soudain plus proche de celles et ceux qui semblent si loin. "Les gens veulent entendre les voix des autres durant la pandémie", atteste le média américain. Une hypothèse à laquelle corrobore le site Mother Nature Network : "En ces temps chaotiques, il y a quelque chose d'apaisant à entendre la voix des personnes que vous aimez".
Le coup de fil est une réponse instinctive à cette "distanciation sociale" que l'on doit respecter. Il traduit une urgence de s'assurer, mots à l'appui, que tout va bien pour autrui. Et ce par le biais d'un moyen de communication que toutes les générations sont parvenues à assimiler. Ce faisant, le retour spontané au téléphone rappelle les limites des mediums aussi "tech" que perfectibles. C'est ce que tend à exprimer le Guardian en constatant que les appels en "visio" - via Skype, Facetime - induisent une sorte de "performance" qui dénature la conversation.
"Si vous voulez réellement dire quelque chose à quelqu'un, appelez-le tout simplement. Rien ne vaut l'intimité rassurante d'une voix humaine qui parvient directement à l'oreille", assure à ce titre le journal britannique. Après avoir accumulé toutes sortes de services et d'applications, quitte à surcharger notre smartphone en le détournant de son usage basique, le naturel revient finalement au galop, et c'est tant mieux. Contexte anxiogène oblige, non seulement il y a plus d'appels, mais ils sont plus longs, précise encore le New York Times. En hausse de 33 % précisément (!) par rapport à n'importe quelle journée moyenne, s'étonne l'entreprise Verizon.
Peut-être est-ce là la preuve des vertus insoupçonnées de l'oralité. Car les paroles confortent comme un cocon. Elles peinent à tromper - pour la bonne raison que les doutes font toujours tressaillir les voix - et, intonations obligent, n'ont pas en elles les ambiguïtés pernicieuses des textos et autres messages concis aux absurdes nuances (un emoji, pas d'emoji ? quelle ponctuation ?). La voix rassure, et c'est aussi pour cela qu'enfants comme adultes célèbrent en pleine période de confinement l'attrait des histoires et contes que l'on narre à haute voix.
Toujours tendance, The Atlantic nous l'assénait déjà l'an dernier : il faut se remettre à appeler, et vite. Car même dans le cadre professionnel, l'appel est bon, il permet de capter des réactions "en direct" plutôt que de se noyer dans les fils de mails, messages vocaux (que l'on écoute jamais) et pièces jointes par ribambelles. Sans compter le stress du texting - ces points de suspension qui gigotent avant la fatale réponse. "La communication par textos est devenue une conversation qui ne commence ni ne se termine jamais vraiment", déplore le site.
En comparaison, le coup de fil est tout de suite moins abstrait, nous assure The Atlantic, car rien ne vaut "l'intimité naturelle" des voix qui s'élèvent en lieu et place des abréviations et smileys qui traversent de toutes parts nos échanges numériques, potentielles sources d'interprétations erronées et de quiproquos langagiers.
Et même la prestigieuse BBC nous invite à respecter l'injonction de Blondie : "Call me !". Oui, si se remettre à téléphoner régulièrement a tout de l'expérience sociale en 2020, cela en vaut la peine. Surtout en un contexte si agité et angoissant. "Entendre les voix de mes amis et de ma famille m'a aidée à me sentir plus proche d'eux. Et franchir le pas en appelant mes amis a donné un coup de pouce à ma vie sociale", nous détaille la journaliste.
Et si la simple idée d'un téléphone qui vibre trop vous effraie, rassurez-vous, on s'y fait. "Quant à l'anxiété que je ressentais avant de passer un appel, la pratique m'a fait réaliser que, le plus souvent, une fois que les gens surmontent le 'choc' de votre appel, ils sont heureux de passer du temps à discuter", achève en ce sens l'autrice.
Des qualités synthétisées par cet éloge signée Bustle : l'appel téléphonique, c'est l'intimité, la clarté, l'honnêteté (autant que faire se peut), la nuance, l'attention portée à autrui... Alors, n'attendez pas, et appelez.