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En confinement, on (se) raconte de nouveau des histoires (et c'est tant mieux)
Publié le 24 avril 2020 à 19:33
Par Clément Arbrun | Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
En plein confinement, les histoires narrées aux enfants redeviennent tendance. Mais les adultes aussi sont concernés ! Anonymes et célébrités s'unissent pour faire perdurer les récits contés à haute voix. Des instants de convivialité qui importent beaucoup.
Raconter des histoires en confinement Raconter des histoires en confinement© Adobe Stock
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L'enfermement n'empêche pas l'évasion, loin de là. Alors que bien des confiné·e·s se laissent aller au plaisir des podcasts ou du binge-watching (l'occasion de redécouvrir des films féministes sur Netflix), d'autres s'abreuvent de classiques de la littérature (disponibles en ligne), de pain maison ou de généreuses câlineries - avec leurs animaux de compagnie. Mais c'est également au sein de la parentalité confinée que la grande question se pose : comment lutter contre l'ennui et l'anxiété en divertissant petits et grands ?

A cela, beaucoup rétorquent : en lisant des histoires, évidemment. Une pratique vieille comme le monde, bénéfique à l'imagination comme à la santé mentale, et perpétuée ces dernières semaines par un certain nombre de célébrités. Des étoiles montantes du rap français (comme Hatik du côté de Radio Nova) aux stars hollywoodiennes (comme Tom Hardy sur la BBC), les personnalités aiment à conter des "bedtime stories", c'est-à-dire des histoires narrées au coin du lit, avec bienveillance et implication. Aux enfants, mais aussi aux plus grands.

Mais pourquoi donc narrer des histoires à voix haute ? Et quels sont les bienfaits de ces oralités en cette période des plus troublées ? Éléments de réponse.

Pour contribuer au développement des kids

Première réponse : qui dit oralités dit développement personnel, bien sûr.

Lire à voix haute instaure un dialogue entre les générations. Comme une forme de transmission qui passe par la parole libérée, de celle et celui qui parle à celle et celui qui écoute. Ce lien est générateur de représentations, incitant les enfants à développer leur petit monde intérieur, et les images qu'ils plaquent sur les mots.

C'est ce que nous explique Coline Pierré, autrice de nombreux livres-jeunesse de grande qualité (La révolte des animaux moches, Je peux te manger ?, Le jour où les ogres ont cessé de manger des enfants) : "La lecture à voix haute éveille chez l'enfant une sorte de capacité d'abstraction. Cet échange autour de la fiction permet de se rendre compte s'il est capable d'être attentif naturellement, de s'imaginer un univers, pour ainsi dire un imaginaire, à travers ces récits, racontés, écoutés. Il y a une vraie relation humaine à travers ces narrations".

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Pour s'offrir une petite pause bienfaitrice

Malgré le Guide des parents confinés, il n'est pas forcément évident de gérer correctement son temps alors que toutes les écoles du pays sont fermées - idem pour bien des activités extra-scolaires. Dans ce contexte de normes et de repères déboulonnés, le recours aux histoires narrées réconforte et rassure, notamment parce qu'il installe un rituel : adultes et enfants arrêtent ce qu'ils sont en train de faire afin de s'accorder un moment plus apaisé.

Que l'on pense "histoires au coin du lit" ou "histoires au coin du feu" - quand bien même elles peuvent se raconter dans de bien d'autres endroits et à tout moment - l'on imagine un ailleurs, une pause hors du temps et des tourments habituels propres à notre morose routine. "Le temps de lecture nous renvoie à une sensation de proximité et de partage autour d'un bouquin. Tant mieux : autant essayer de faire de ce confinement quelque chose de positif, de reprendre la main sur cette situation en quelque sorte", philosophe Coline Pierré.

Pour transfigurer la situation actuelle

Reprendre la main sur la situation mais sans la nier pour autant, loin de là. Car la pandémie de coronavirus, tout comme le confinement, ne doivent pas être éludés des conversations entre petits et grands. Et la fiction est peut être le plus judicieux des prismes par lequel en parler. Car s'il est important de raconter des histoires aux plus jeunes, hors de question de leur faire avaler des salades pour autant. Raconter autrement, c'est aussi prendre un peu de recul face à notre propre perception des choses, forcément encombrée d'images médiatiques anxiogènes et alarmistes.

 

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Refléter le réel par la fantaisie, c'est ce que propose la dessinatrice Marguerite de Livron avec sa petite BD du "Coconfinement". Des récits en cases qui peuvent tout aussi bien être énoncés à l'oral, pour plus d'interaction et de dynamisme. "Se forger un imaginaire permet de saisir ce qui nous arrive. Les enfants ont besoin de clefs pour comprendre ce qui les entoure et leur quotidien, ses règles qu'ils trouvent bizarres, ses interdits, ce qu'il faut faire et ne pas faire : les histoires contées ont ce rôle de médiation", décrypte Martin Page, auteur de livres pour enfants engagés (Les Animaux ne sont pas comestibles) mais aussi pour adultes (Comment je suis devenu stupide).

Là est aussi l'opinion de l'autrice Coline Pierré, pour qui contes et coronavirus sont loin d'être indissociables. "En parler ainsi rend la chose moins dramatique, permet d'en saisir les conséquences réelles sans pour autant se laisser bouffer par les discours médiatiques. Réussir à transformer cette réalité "à leur hauteur" a du sens !".

Pour inspirer les adultes bien sûr

Cette interaction stimulante marche dans les deux sens : l'histoire contée est aussi inspirante pour l'adulte qu'elle ne l'est pour l'enfant. C'est d'ailleurs pour cela que, ces dernières semaines, les initiatives narratives fleurissent sur la Toile. Les adultes pourront tout aussi bien s'amuser à regarder l'acteur Tom Hardy narrer des bedtime stories (sur la BBC) qu'écouter Simone, la voix de la SNCF, les réjouir de son intonation familière, en revisitant les grands classiques de la littérature, des Vieux d'Alphonse Daudet à Un nouveau pneu d'Alphonse Allais. Au temps du confinement, chacun·e réapprend le plaisir d'une lecture orale trop longtemps délaissée. Car il n'y a pas d'âge !

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"Les adolescents adorent qu'on leur raconte des histoires, mais on le fait rarement. Et avec la popularité des livres audio, certains adultes redécouvrent aujourd'hui ce plaisir. Tant mieux, car cesser de raconter des histoires, c'est simplement une norme sociale absurde que l'on a dictée, comme une manière de dire : c'est la fin de la récréation ! Donc il ne faudrait plus du tout lire à voix haute. Comme si cela marquait le passage de l'enfance à l'âge adulte, façon 'Allez, arrêtez de jouer !'", déplore à juste titre l'écrivain Martin Page.

Une injonction qui étouffe. Et si on redonnait à cette oralité pourtant si fédératrice et atemporelle ses lettres de noblesse ?

Pour faire varier les plaisirs

L'histoire orale n'a évidemment pas attendu une pandémie mondiale pour faire son retour. Si l'on dénombre tout un tas de plateformes de livres audio (comme Audible pour ne citer qu'elle), il en va de même pour les podcasts. Ils ne sont pas rares, les programmes sonores à déployer tout un répertoire de contes et de fables, amusant aussi bien les enfants que leurs parents. C'est notamment le cas de l'émission Une histoire et... Oli sur France Inter, dont le casting vocal ne laissera pas indifférents les darons les plus désabusés - Guillaume Meurice, Omar Sy... Sans omettre, évidemment, les cultissimes lectures des Fables de la Fontaine par Fabrice Luchini sur Instagram.

 

Mais aussi de l'excellente initiative de Radio Nova, Les rappeurs règlent leur conte, où le flow des artistes épouse le rythme des histoires pour kids. Cette oralité alternative aux lectures "traditionnelles" et plus introverties nous renvoie paradoxalement à l'origine-même de l'art du récit, puisqu'à la force "de la narration et de la transmission orales, à savoir tout ce qui a donné sens à la littérature", rappelle Martin Page. Au berceau de nos cultures.

Pour lutter contre l'anxiété

Comme on peut donc le déduire, (se) raconter des histoires ne nous éloigne en rien d'une réalité que l'on aimerait fuir à tout prix. Si ces instants de paroles envolées dans l'air sont synonymes d'évasion, ils permettent avant tout de mieux l'appréhender - cette réalité. Et pas de question de génération qui tienne ici, le plaisir est largement partagé. "Même pour ceux et celles qui content, les histoires permettent de mieux comprendre le monde, car aujourd'hui on en est au même niveau d'effarement que les enfants", admet Coline Pierré.

Face à l'anxiété qui recouvre bien des foyers en cette période, l'oralité est comme un fil auquel l'on s'accroche pour ne pas définitivement sombrer. "C'est un repère. L'on y revient toujours, comme un support, qui aide à passer des caps et affronter des difficultés", poursuit l'autrice. On ne peut mieux dire. A vos livres, et à vos casques !

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