Envie de se changer les idées entre deux podcasts féministes ? Alors n'hésitez pas à foncer dans le rayon "bandes dessinées" de votre librairie préférée. Car le neuvième art regorge bien évidemment d'histoires qui sortent des cases. Tour à tour girl power et sanguinaires, douces comme un haïku et décapantes comme un trait d'esprit, nos bandes dessinées favorites oscillent entre bonnes ondes sororales et irrévérence bienvenue.
Pour le plaisir, en voici six qui raviront votre âme de bédéphile.
Si vous ne faites pas partie des 34 000 personnes qui suivent Marie Boiseau sur Instagram, ne nous le cachons pas, c'est un peu la honte. Mais vous pouvez toujours vous rattraper en découvrant le premier album de bédé de cette illustratrice féministe à l'univers réjouissant. Dans Ni bon ni mauvais, ni tout à fait le contraire (un titre très Cédric Klapisch), la jeune artiste célèbre le corps des femmes. Ses rondeurs qui offusquent les grossophobes, ses imperfections qui le magnifient, ses formes qu'une société aseptisée souhaiterait photoshopper...
Oscillant entre le noir et blanc d'un croquis et les couleurs d'un dessin d'enfant, ces esquisses servent ici un témoignage très intime sur l'acceptation de soi, l'expérience de la dépression et le point de vue - déformant - que l'on porte sur son apparence. Et ce entre deux magnifiques "odes à mon cul" ! C'est dire si cet opus introspectif et "body positive" est indéfinissable. Il nous balade d'un songe à l'autre, du rire franc à la mélancolie tenace.
Et son petit format risque bien d'en faire le compagnon de vos futures déambulations.
Ni bon ni mauvais ni tout à fait le contraire, par Marie Boiseau.
Editions Lapin, 144 p.
En petite robe jaune, c'est l'histoire de l'autrice et scénariste Emmanuelle Lepoivre. A dix ans, Emmanuelle a compris que son père était toxicomane, et sa mère alcoolique. Cette vie discordante, elle l'envisage sans tabou ni pathos. Même si, bien souvent, les aléas parentaux viennent faire dérailler son train-train quotidien. Pour traiter ce récit autobio avec la justesse nécessaire, l'autrice a fait appel à l'illustratrice Fanny Vella, et elle a bien fait : la simplicité et la finesse des traits, presque enfantins, servent à faire passer un témoignage du réel pas si rose.
Quoi de plus pertinent que cet ascenseur émotionnel, entre empathie complice et tristesse, pour dépeindre le passage à l'âge adulte d'une gamine ? Au creux de ces pages tragicomiques virevolte toujours la "robe jaune" de la protagoniste. Une couleur vive et mouvante qui vient apporter un peu de gaieté à cette évocation très touchante d'une adolescence (pas vraiment) comme les autres.
En petite robe jaune, par Emmanuelle Lepoivre et Fanny Vella.
Editions Big Pepper, 50 p.
Le sous-titre de Skyward tease non sans malice le spectacle : "Ma vie en apesanteur". Car le comic-book de Joe Henderson, Lee Garbett et Antonio Fabela nous plonge dans un avenir bien flippant où la loi universelle de la gravitation n'est plus qu'un lointain souvenir. Résultat, toute une partie de l'humanité s'est envolée vers le ciel sans jamais revenir. L'humanité restante, elle, se divise en deux, entre outsiders des classes populaires et privilégiés, bien à l'abri dans leurs tours de verre...
Le coeur de cette épopée aérienne se nomme Willa. Une jeune femme qui a sa revanche à prendre. Et ne se laisse pas faire. Forte tête, elle défie les bandits des airs comme ceux des rues malfamées. Son contrôle de la gravité fait d'elle une super-héroïne aussi insaisissable que caustique. Libre de ses mouvements, elle échappe avec irrévérence aux griffes de ceux qui voudraient l'enfermer. Une belle définition de la wonder woman.
Skyward : tome 1, par Joe Henderson, Lee Garbett, Antonio Fabela
Editions Hi Comics, 128 p.
Le style de l'autrice et illustratrice Tiffany Cooper est reconnaissable entre mille. Et il est savoureux : la fausse candeur de son crayonné (joyeux, pop et coloré) contraste souvent avec l'ironie mordante de son propos. Si vous appréciez ce cocktail doux amer, alors Moi, maman ? va vous combler. Dans son dernier album, cette trentenaire (pas si) désespérée relate donc sa vie de mère. De la grossesse à l'accouchement et ce jusqu'à "l'après" incertain, le "mommy blues" se raconte sans filtre. Et surtout, avec une bonne grosse dose d'humour qui pique là où il faut.
Car il faut avoir les nerfs bien solides, lorsque l'on est une future maman. Supporter les remarques sexistes d'autrui, les prescriptions médicales reloues, les angoisses du quotidien, le regard que l'on accorde à son propre corps, ou encore (tout simplement) piger le mode d'emploi de ce satané porte-bébé. Un parcours de la combattante, relaté avec beaucoup d'autodérision, comme une comédie de l'ordinaire.
Moi, Maman ?, par Tiffany Cooper.
Editions Eyrolles, 74 p.
Entre deux cours, Charlie, le grand timide, rencontre Nick, le sportif à l'allure de quaterback. Au sein de son lycée, Charlie a du mal à assumer son homosexualité. Ce secret à moitié avoué lui déjà a valu quolibets et harcèlement. Mais le soutien que lui apporte Nick pourrait bien tout changer. C'est le début d'une belle histoire d'amitié. Ou plutôt... d'amour.
Dans Heartstopper, les cases filent comme des feuilles emportées par le vent. La narration est extrêmement limpide et exprime à merveille l'euphorie que ressent un ado épris d'un autre. Cette romance homosexuelle, Alice Oseman la narre sans lourdeur aucune. Au contraire, tout est léger dans cette évocation d'une jeunesse bousculée par la confusion des sentiments.
L'aisance avec laquelle l'autrice aborde des thèmes sensibles (comme le coming out) rappelle d'ailleurs la tonalité (à la fois grave et sucrée) de la production Netflix Love, Simon. C'est dire si Heartstopper transforme notre petit coeur en nounours de gélatine tout fondant.
HeartStopper : tome 1, par Alice Oseman.
Editions Hachette Romans, 270 p.
Ce comic-book sanguinolent nous plonge dans un futur alternatif digne d'un film d'horreur. Les femmes y disparaissent les unes après les autres, dévorées par d'effroyables loups-garous, dont l'on ignore tout - leur provenance, leurs failles. Heureusement, quelques survivantes au passif tragique sont bien décidées à faire mordre la poussière à ces bêtes furieuses.
Alors que l'ère féministe qui se profile donne le la aux sorcières, Coyotes choisit de réécrire un autre mythe - celui du loup-garou. Des prédateurs tous crocs dehors, que l'on pourrait aisément comparer... aux porcs. Comprendre, ceux que l'on balance. Car dans le post-apocalyptique Coyotes, le démon n'est autre que l'homme, qui assassine une féminité aussi malmenée que celle de Mad Max : Fury Road. Face à ces virilités meurtrières s'imposent quelques guerrières aussi farouches que "badass" : les résistantes de la "Cité des Filles Perdues". Et autant dire que la révolution promet d'être sauvage.
Sean Lewis et Caitlin Yarsky n'hésitent pas à appuyer la dimension "empouvoirante" de ce récit mythologique aux prédictions plus que censées : la femme sera l'avenir de l'homme. Avec ou sans lui.
Coyotes : tome 1, par Sean Lewis et Caitlin Yarsky.
Editions Hi Comics, 128 p.