Se reposer. Une expression aux mille variations. "Rester immobile ou allongé de manière à se délasser", énonce simplement Le Robert. En vérité, n'en déplaise au dictionnaire de référence, le repos n'est pas que "farniente". Il fait aussi office d'apaisement global, de retour à soi, de détente physique et mentale. On respire un bon coup, les yeux fermés, en harmonie avec ce qui nous entoure, le sons, les sens et nous-mêmes. Le repos est un art.
Et c'est ce sur quoi insiste la BBC, en puisant dans les découvertes d'une ode à cette si familière pratique : The Art of Rest - L'art du repos, un essai de Claudia Hammond. Afin de constituer son éloge du "ne rien faire", cette autrice et journaliste britannique s'est - entre autres - appuyée sur un éloquent et mondial "test du repos". Evoqué par le Guardian, ce questionnaire a été imaginé par des chercheurs de l'Université de Durham puis déployé auprès de plus de 18 000 personnes, réparties dans 134 pays différents. On a simplement demandé à ces anonymes d'énumérer ce qu'elles trouvaient le plus reposant.
Réponses des paroles concernées ? La pleine conscience, regarder la télé, rêver, prendre un bain, se promener, ne rien faire, écouter de la musique, être seul·e, passer du temps à se balader dans la nature ou encore, lire - tout bêtement. Le repos prend donc bien des formes. Il devrait être salué pour cela, mais non : dans notre société contemporaine, il ne fait bon mettre son dynamisme sur pause.
Et on ne peut que le déplorer.
Repos ou relaxation, l'art de la détente traîne derrière lui des siècles de pratiques. On pourrait ainsi évoquer les traditions spirituelles tibétaines (millénaires) et les préceptes bouddhistes, invitations ouvertes à la méditation et à l'osmose avec Mère Nature. D'autres aiment à rappeler l'ancienneté de certaines pratiques japonaises, comme les "bains de forêt", ou "shinrin-yoku", forme de thérapie naturelle prolongeant cette même union entre repos, esprit et environnement. Comme si la "zenitude" était, plus qu'un relâchement, l'expérimentation d'un "grand tout". Un dépassement de soi, en somme.
C'est bien souvent du côté des philosophies orientales qu'il faut chercher ce rapport ancestral au repos, envisagé comme une célébration des sens. Lors des exercices de méditation ou de pleine conscience (pratique que l'on date au 6e siècle av. J.-C), se détendre a tout d'une introspection : en plus de soulager notre niveau de stress, on s'immerge au fond de soi-même afin de se reconnecter avec notre corps. Comme le rappelle la BBC, c'est cette même reconnexion que privilégiaient "les tribus aborigènes durant plus de 40 000 ans".
Alors, pourquoi estime-t-on que s'exiler un temps des aléas du quotidien pour fermer les yeux a tout de la paresse, de l'immaturité ou de la fuite en avant ? Les avancées de l'histoire occidentale apportent quelques réponses. Pour le Huffington Post, qui s'interroge lui aussi sur cet "art perdu du repos", tout se serait accéléré dès les débuts de la révolution industrielle, "lorsque les machines ont commencé à remplacer le travail humain", déboulonnant sous prétexte de productivisme acharné le luxe de l'oisiveté. Depuis 1760, repos et relaxation sont devenues les hantises d'un monde capitaliste où chaque heure doit être synonyme d'activité humaine.
"Avec l'apparition de sur-stimulations qui bombardent et submergent constamment nos sens, la relaxation est vite devenue le privilège des riches qui peuvent s'en accorder le temps. Si bien qu'aujourd'hui, même les enfants de sept ans se disent stressés et anxieux en raison de la violence des pressions scolaires et parascolaires", déplore le média. Doit-on faire le deuil du repos ? Rien n'est moins sûr. Au contraire, il est urgent de le célébrer.
Se réconcilier avec le repos, sans complexe ni entrave, c'est aussi célébrer la parenthèse, les instants de vide, les silences qui en disent bien souvent plus long que les grands discours. Idéal à l'heure où conversations écrites et orales s'entassent dans nos applications et nos réseaux sociaux. Même en dehors de nos heures de travail, la productivité - de signes, de gestes, d'actes - fait office de nécessité. Loin d'une ultra-moderne solitude, le retour à un soi apaisé ne peut que calmer cette frénésie d'instantanéités.
"L'apogée de l'optimisation à tout prix nous a distrait des bienfaits de la relaxation, du plaisir et même de l'ennui, états accusés de nous rendre moins productifs, mais qui peuvent tout aussi bien engendrer de la créativité", remarque l'historienne des émotions Susan J Matt du côté de la BBC. A travers cette réhabilitation d'une créativité qui se passerait de vitesse, de bruits et d'interactions, nous en revenons l'air de rien à ce précepte de Bouddha : "Deux choses participent de la connaissance : le silence tranquille et l'intériorité". CQFD.
Derrière la culture du repos, la redécouverte d'une philosophie à part entière.
Démarche philosophique que celle de mettre ses activités au ralenti, oui, mais politique aussi. "Le repos est un acte de rébellion tranquille, nous permettant de découvrir de nouvelles façons d'être et de voir le monde", affirme en ce sens l'écrivaine américaine Adrienne Maree Brow au média britannique. Militante des droits des femmes et autrice afro-féministe, Adrienne Maree Brow insiste sur la qualité révolutionnaire du repos, comme alternative à la pensée dominante, et donc au pouvoir mis en place - patriarcal, forcément.
Au creux de l'imaginaire de la concurrence et du "toujours plus" définissant ce système, les chemins de traverses que proposent sommeil, méditation et tranquillité s'avèrent essentiels. "Le plaisir et le repos deviennent de plus en plus des actes politiques contre le mécanisme des sociétés actuelles", explique à l'unisson l'écrivaine Holly Friend.
Prôner un grand ralentissement ferait donc le même effet que de décocher un slogan.
Ils semblent alors loin, les préjugés populaires associant repos et passivité. Bien au contraire, se reposer a tout de l'acte citoyen. Et cela n'exige pas tant d'efforts, si ce n'est celui de sortir de son confort de pensée, en privilégiant notre santé aux contingences extérieures. Santé mentale, mais aussi physique.
Un point sur lequel insiste le site Mind Body Green : "Lorsque vous prenez le temps de vous asseoir et de vous reposer, même quelques minutes par jour, vous permettez aux cellules de votre corps de se recharger. Un simple bain ou une douche avec quelques respirations contrôlées peuvent dès lors suffire à faire étinceler votre lumière intérieure".
Une "lumière" qui, on l'a compris, a beaucoup à offrir. Et sous de multiples formes. Exercices de yoga, thés qui revigorent, bains chauds, massages... Le repos qu'évoque le magazine en ligne ne se limite pas simplement à la sieste. Et ses stimulantes déclinaisons nous permettent, ne serait-ce qu'un temps, d'échapper aux angoisses des temps modernes.