Nous avons tous déjà été confrontés à des situations où nous jugions irrationnelles les décisions prises par nos supérieurs. Mais, pour certains, cette incompréhension est quotidienne et peut vite devenir invivable. Désengagement, dépression, dévalorisation de soi-même... Le brown-out (littéralement "baisse de courant") est proche.
Alors que le burn-out, lié à l'épuisement professionnel dû à un trop-plein d'activité, a été reconnu depuis peu comme maladie professionnelle et, que l'ennui au travail, le bore-out, demeure encore tabou, le brown-out semble s'installer comme le nouveau mal qui sévit dans les open-spaces.
Révélé dans l'ouvrage The Stupidity Paradox (ed. Pearson) par deux chercheurs britanniques et suédois, André Spicer et Mats Alvesson, le brown-out est un "sentiment d'absurdité, d'inutilité, ou pire, de nuisance". Plus précisément, l'objectif de ces deux hommes était d'étudier cette mécanique qui voudrait que les entreprises embauchent des hauts diplômés pour, finalement, leur demander de mettre leur cerveau en veille. Les salariés se retrouvent alors à travailler sur des tâches dont ils ne comprennent pas l'intérêt. Celles-ci sont souvent répétitives et peuvent même aller dans certains cas, à l'encontre des valeurs du salarié.
Et les cas de figure où l'employé doit se résigner à mettre de côté son amour-propre mais aussi son éthique pullulent. Favoriser la logique du chiffre d'affaires plutôt que les valeurs morales, défendre un projet en ayant parfaitement conscience qu'il peut faire du mal autour de soi ou encore instaurer un climat de peur pour stimuler la productivité, n'en sont que peu d'exemples. Malgré tout, la personne atteinte de brown-out continue à faire son travail et peut même y passer des heures, mais sans jamais manifester le moindre engouement.
Tandis qu'un employé lambda tente souvent de se valoriser à travers son travail, cet état de déception provoque tout le contraire chez le malade. Celui-ci devient de plus en plus insociable, anxieux et irritable. Venir au bureau devient une véritable épreuve et le salarié "trouve des excuses pour ne pas venir [travailler]. Un rhume devient alors une grippe", comme l'explique Sir Cary Cooper, professeur de psychologie organisationnelle et de la santé, à la Manchester Business School, dans un article du Telegraph.
Mais ce syndrome va jusqu'à dépasser le cadre professionnel et empiète même sur la vie familiale. Plutôt que de profiter et de chérir les moments en famille en rentrant du bureau le soir, la personne atteinte de brown-out va plutôt se diriger vers la télévision ou se renfermer sur elle-même. Pire encore, la dépression et l'envie de suicide s'installent lentement dans sa vie.
Toujours selon les chercheurs André Spicer et Mats Alvesson, il semble que ce mal psychique touche tout le monde, sans distinction. A titre d'exemple, même le personnel médical qui, normalement, est impliqué et empathique pourrait être touché. La raison ? La réduction des subventions et des équipes.
Selon les chiffres de l'Ipsos, quelque 54% de travailleurs seraient démotivés ou désengagés par leur travail. Au niveau mondial, même si ce chiffre baisse, il atteint quand même les 37%. Et, si on considère les profils "expérimentés" comme les premières victimes de cette nouvelle torture mentale, d'autres sont encore plus fortement touchées : les jeunes diplômés. Alors qu'ils étaient gonflés de rêves et d'espoirs, ils sont nombreux à tomber dans la désillusion, après seulement quelques mois au sein d'une entreprise.
Et si pour l'instant, seul le burn-out est reconnu comme maladie professionnelle, cet ensemble de pathologies psychiques ne sont pas à prendre à la légère. Pour en venir à bout, il faut déjà bien prendre conscience de l'impact de celles-ci. Par exemple, préconiser un arrêt maladie est loin d'être la solution - comme si, à l'image d'une grippe, il suffisait de prendre deux cachets pour se soigner.
Pour sortir de la spirale, certaines personnes choisissent de changer radicalement de cadre, pour ainsi être davantage en adéquation avec leurs valeurs. Ce qu'explique notamment Laurence Oro-Messerli, psychologue spécialisée en santé au travail dans un article du site Le Temps : "Beaucoup rêvent d'un travail libéré du carcan législatif, en idéalisant par exemple l'artisanat, note-t-elle. J'ai ainsi un jeune manager qui veut devenir brasseur. Pour s'entraîner, il fabrique sa bière chez lui, le week-end, et en tire une satisfaction immense".
Finalement, à l'heure où de plus en plus d'études prônent le bien-être au bureau, on peut se demander si l'épanouissement professionnel n'est pas devenu un mythe.