En 2020, ils étaient 400 salarié·e·s de l'Opéra de Paris à signer un manifeste qui appelait à mettre fin à la discrimination raciale sur scène et dans les coulisses. Un texte qui abordait notamment l'instauration d'une politique anti-discrimination interne efficace, la possibilité de signalement du racisme ordinaire, mais aussi les fléaux que sont le "black face" et le "yellow face" au sein de plusieurs oeuvres jouées sur les planches.
Ces mots rédigés par cinq danseur·se·s - Guillaume Diop, Letizia Galloni, Jack Gasztowtt, Awa Joannais et Isaac Lopes Gomes - ont connu un retentissement certain. Le nouveau directeur, Alexander Neef, s'est d'ailleurs engagé à faire évoluer les mentalités, les codes et les opéras avec la société.
Outre-Rhin, au sein du très prestigieux Staatsballett de Berlin, Chloé Lopes Gomes, la soeur d'Isaac, a elle aussi entamé un combat contre le harcèlement constant, le white face, les injures raciales et les différences de traitement dont elle a été victime depuis son arrivée dans la compagnie.
Invitée sur le plateau de Quotidien jeudi 14 janvier, la danseuse formée au Bolchoï ballet de Moscou raconte que l'autrice principale de ces pratiques discriminatoires n'est autre que sa maîtresse de ballet. Lors de son audition d'embauche, cette dernière lâchera même à une collègue qu'il ne fallait pas engager la ballerine car "avoir une femme noire dans un corps de ballet n'est pas esthétique". "Elle s'est acharnée contre moi", dénonce Chloé Lopes Gomes, qui admet avoir l'impression de devoir travailler plus que les autres pour obtenir la même considération.
Malgré les plaintes déposées auprès ses supérieur·e·s, la responsable d'une cinquantaine d'années n'a écopé d'aucune forme de sanction. Après plus de deux ans entre silence et inaction de l'administration concernée, encouragée entre autres par la résurgence du mouvement Black Lives Matter, Chloé Lopes Gomes décide d'agir publiquement.
"Parce qu'il y en a marre de ce racisme, de ces humiliations", lance-t-elle. "Je ne pense pas qu'il faille supprimer certains ballets du répertoire, mais les adapter à la société actuelle". Elle cite en exemple La danse des négrillons de l'opéra de La Bayardière, renommée par Benjamin Millepied La danse des enfants. "Il faut dépoussiérer tout ça", estime-t-elle cette fois auprès de France Musique. "Il faut enlever ce qui doit être enlevé, et améliorer ce qui doit être amélioré".
La danseuse confie cependant que sa prise de parole ne se fait pas "de gaité de coeur". "Je m'expose et j'ai peur de ne pas retrouver de travail par la suite". Mais, comme ses collègues parisien·ne·s, elle estime que cela a trop duré. A ce sujet, elle souligne d'ailleurs au micro de la radio publique que leur mobilisation est très positive, ajoutant que "la France est le berceau de l'art classique et doit donc montrer l'exemple".
En octobre dernier, Chloé Lopes Gomes a été licenciée par le Staatsballett. Pour cause de Covid et de niveau, selon la maison allemande. De racisme systémique, condamne de son côté la concernée (un licenciement qu'elle impute à la fameuse maîtresse de ballet). Suite aux déclarations de la jeune femme, l'institution berlinoise a annoncé mener une enquête. "Toute forme de discrimination et de racisme au sein de notre entreprise est inacceptable", peut-on lire dans un communiqué. Pourtant, rien ne semble encore changer. "Actuellement, ils organisent des workshops pour sensibiliser", explique la jeune femme lors de son intervention télé. "Mais ce n'est pas assez !"