psycho
A quel stade du stress "coroémotionnel" êtes-vous ?
Publié le 18 avril 2020 à 13:30
Par Pauline Machado | Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
"A fleur de peau" est un doux euphémisme quand on en pense à notre état de confiné·e. Rien d'anormal, bien au contraire. Et à en croire l'evolution de nos émotions jour après jour, il y aurait plusieurs stades par lesquels passer avant d'atteindre l'adaptation sincère. Sept, exactement.
A quel stade du stress "coroémotionnel" êtes-vous ? A quel stade du stress "coroémotionnel" êtes-vous ?© Adobe Stock
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La semaine dernière, on se sentait protégée dans notre quartier. Aujourd'hui, on rase les murs dès qu'on sort. Depuis ce matin, on pleure sans arrêt, alors qu'on faisait preuve de positivité il y a à peine quelques jours. Le coronavirus et le confinement qu'il induit foutent le bordel dans nos émotions, et on a du mal à saisir comment les gérer au mieux. On ressent des choses qu'on ne comprend pas forcément, et un fait qui nous semblait anodin la veille devient source d'anxiété coriace le lendemain. Difficile à suivre. Il y aurait cependant un sens à ces chamboulements légitimes par temps de crise, et qu'on ne doit pas ignorer : nous évoluons vers l'acceptation d'une "nouvelle norme", étape par étape. Les voici.

Etape 1 : rien à déclarer

On ne vit pas dans une grotte (quoique le manque de lumière de notre appart' a tendance à nous faire penser le contraire), on sait que la pandémie gronde. Elle rode et menace l'humain. Les aîné·e·s, principalement, mais pas seulement. On aborde donc les mesures de sécurité avec sérénité, convaincue, à juste titre, qu'il s'agit là de la façon la plus responsable de se protéger et de les protéger. On dresse une liste longue comme notre bras de séries à mater, de livres à dévorer, de gâteaux à engloutir avec une tisane blottie dans le canapé - ou à la fenêtre pour espérer sentir quelques rayons sur notre front. Tout va bien, même si le climat demeure inquiétant. Enfin, ce qui va le mieux, c'est surtout notre déni total de ce qu'implique ce bouleversement sociétal.

Etape 2 : la paranoïa s'installe

On ne sait pas si ce sont les infos en continu ou un sentiment de peur fondé, mais on commence à regarder les passant·e·s qui toussent du coin de l'oeil, la bouche et le nez enfouis dans notre écharpe faute de masque efficace (ou de chaussette neuve). On suspecte chaque paquet de farine dégoté comme un trophée au supermarché du coin de colporter le virus, si bien qu'on ne touche pas nos courses pendant plusieurs heures (précaution fortement recommandé au demeurant) une fois rentré·e chez nous. Chaque symptôme associé de près ou de loin à la maladie nous fait trembler de peur, on se repasse nos moindres déplacements exceptionnels dans notre tête pour vérifier que l'on n'ait pas malencontreusement effleuré notre visage après avoir poussé la porte du primeur.

On est devenu·e complètement parano. Normal, il y a de quoi. Le Covid-19 se propage vite, et touche un bon nombre de nos concitoyen·ne·s. Parfois de nos proches. Et puis, il y a toujours les récalcitrant·e·s qui se croient tout permis, qui continuent de sortir pour un oui ou pour un non et n'aident pas à ce qu'on se sente en sécurité. Comment faire pour décompresser ? Enterrer son téléphone dans la montagne de fringues qui concurrence l'Everest à côté de la chaise (déjà ensevelie pour sa part), et occuper son esprit à autre chose que des hypothèses de scénarios apocalyptiques qui n'incluent pas Brad Pitt.

Etape 3 : la colère enchaîne

Les douleurs de nos menstruations ont l'air de vivre leur meilleure vie pendant le confinement, à base de petits coups de poignard dans le ventre impossibles à calmer sans anti-inflammatoire. Même en dehors de notre cycle, on a l'impression que l'agacement qu'on savait jusque-là maîtriser explose en une colère plus ou moins démesurée. Plusieurs causes la provoquent : lesdits inconscient·e·s qui poursuivent leurs habitudes sociales en scandant qu'ils ne comprennent pas pourquoi rester chez eux puisque "seuls les vieux l'attrapent". Le manque de clarté face à la date de sortie définitive (si tant est que ce soit possible). Le couteau à beurre demi-sel que notre co-confiné·e a aussi utilisé dans la confiture. L'affront.

Des arguments qui prouvent une chose plutôt claire comme de l'eau de roche : ce n'est pas tant l'élément déclencheur qui nous énerve que notre impuissance générale face à l'actualité. Et la solution, c'est d'y céder. De ne pas refréner ces élans d'émotions confuses et de les exprimer librement, sans pour autant balancer le service Maison du monde (le plus chic de notre vaisselier aka placard Ikea) par terre. Crier dans un coussin, faire une séance de cardio intensive, appeler un·e proche pour décharger ce qui nous pèse depuis le début de la journée.

Etape 4 : la tristesse prend le relais

D'un coup, tout retombe. On se sent comme subitement frappée par la gravité de l'époque. On pense à notre entourage, à celles et ceux qui ne sont pas encore guéri·e·s, à celles et ceux qui ne guériront pas. A ce qu'on ressentirait si cela arrivait à notre cercle familial restreint, si ça arrivait à notre partenaire. On se surprend à visualiser des images toutes plus terribles les unes que les autres dans le seul but de faire couler les larmes qui se logent dans nos yeux.

On est triste et on a envie d'être triste. Comme pour évacuer, ou se dire qui si on envisage le pire, il ne se produira pas. Un moment qui fait finalement disparaître la petite once de déni qui subsistait encore. Mais qui, c'est certain, ne durera pas.

Etape 5 : l'espoir renaît

Ça y est, les épisodes plus difficiles psychologiquement semblent s'estomper. On commence à nouveau à devenir positive. Non pas avec la situation en elle-même, mais plutôt en se fixant des petits objectifs au quotidien pour se faire du bien. Le soleil brille, on est en bonne santé, les chiffres des hospitalisations tendent à baisser : on voit petit à petit le bout de ce tunnel, macabre pour tant de personnes.

On se concentre sur les actions bienveillantes du quotidien, on applaudit plus fort les soignant·e·s à 20 heures, on écrit des "Merci pour votre travail <3" sur notre poubelle à destination des éboueurs. On se persuade que c'est en agissant au jour le jour, et en maximisant les attentions qu'on aidera à s'en sortir. Et on a raison.

Etape 6 : la reconstruction s'entame

On a accepté que notre vie ne serait plus comme avant. On sait que beaucoup de choses devront changer dans ce quotidien chamboulé, et c'est le moment de faire le bilan. De lister ce qu'on ne veut plus, de remanier nos priorités. Sociales, professionnelles, personnelles.

Un nouveau départ peut-être loin de la ville, avec davantage d'espace garanti ? Un changement de boulot après avoir réalisé qu'on souhaitait être plus utile pour la société ? L'heure est à la reconstruction de notre vie avec une notion bien ancrée dans notre esprit : il faut s'attendre à ce que l'on connaisse des événements similaires dans un futur plus ou moins proche, et à ce que "la vie normale" ait un tout nouveau sens désormais.

Etape 7 : l'adaptation à la "nouvelle norme"

On a passé les premières semaines du confinement à espérer que "tout redevienne comme avant". Aujourd'hui, on sait que ce ne sera pas le cas. Que la pandémie de Covid-19 et les dégâts massifs qu'elle a engendrés auront raison de ce qu'on connaissait jusque-là. Même s'il s'agit de détails. On réfléchira à notre consommation de viande différemment, on placera le respect de la planète et de ses habitant·e·s au coeur de nos préoccupations.

Et puis surtout, on commence à prendre notre quotidien enfermé·e comme la normalité. On ne se rappelle plus vraiment de ce que c'est de choisir ses vêtements le matin quand on a la chance de travailler de chez soi, ni de s'encombrer de réunions interminables qui pourraient être réduites à un email : la preuve, elles sont désormais principalement des emails. L'humain s'adapte toujours et, qu'on se rassure, on ne fait pas exception. Alors tenez bon.

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