Sur le terrain de l'inégalité salariale, le football bat des records. A l'échelle française, si l'on compare les salaires de la L1 (compétition masculine) et de la D1 (compétition féminine), les femmes sont payées 10 fois moins que les hommes. 4 000 euros par mois en moyenne chez les joueuses contre 50 000 chez les joueurs, selon le JDD.
Pour ce qui est de la Coupe du monde encore, la différence est de taille : les Bleues ramèneront certes la coupe à la maison, mais avec un pactole de 40 000 euros chacune, quand les Bleus remportaient 350 000 par personne suite à leur victoire en 2018.
A cet écart conséquent, on répond que c'est un principe de base d'économie. Les femmes ne rapportent pas autant que les hommes si on se concentre sur les recettes des matches, les sponsors, les audiences, les annonceurs ou les produits dérivés, donc ne gagnent pas autant.
Pour Dominique Crochu, ex-première femme directrice en charge du Digital à la FFF et pionnière du développement du football pour les filles, c'est un peu plus complexe que cela. L'inégalité a pris racine lorsque l'on a genré la discipline.
"Tant que la gouvernance du sport aura une lecture différenciée du sport sous-entendu masculin et du sport dit féminin, on aura du mal à avancer", assure-t-elle. "Le sport n'a pas de genre. Seules les compétences sont à considérer."
En différenciant les deux, on ferait donc de la version féminine "une sous-catégorie, une forme additionnée mais non incluse dans son intégralité, sans vision de l'égalité", ajoute-t-elle. "Et cela bloque, empêche une vision de stratégie générale et cohérente de la part des organisations."
Quand on se penche sur les compétitions en termes de reconnaissance et de statuts, déjà, leur fonctionnement est loin d'être similaire. Chez les hommes, la L1 est professionnelle - gérée par la Ligue de Football Professionnel - quand le championnat de France féminin de football, la D1, a encore un statut amateur - gérée par la FFF en lien avec la Ligue du Football Amateur.
"Les joueuses ont seulement depuis quelques années la possibilité d'obtenir un contrat fédéral qui leur confère la possibilité de vivre de leur passion et d'avoir un statut de salariées pour certaines."
Les joueuses cumulent pour certaines leur carrière sportive avec un emploi, car ce que leur rapporte la pratique du football seule ne leur permet pas de vivre. Elles ont donc moins de temps à consacrer à l'entraînement, et forcément à la progression de leur jeu.
"Avoir une autre activité à côté du football n'est pas nécessairement une mauvaise chose", assure aux Echos Hege Jørgensen, directrice de l'organisation norvégienne Toppfotball Kvinner, qui veut développer le football joué par des femmes. "Malheureusement, la situation aujourd'hui est trop déséquilibrée : faute d'aménagements suffisants, les études et le travail se font au détriment du football". Et la discipline n'a pas les clés pour évoluer. Le serpent qui se mord la queue.
Selon Dominique Crochu, cela est amené à évoluer au fur et à mesure qu'un nombre croissant d'équipes féminines accède au plus haut niveau.
"Faut-il encore que tous les clubs professionnels aient une politique générale qui décide d'une stratégie pour les féminines versus leur politique masculine", précise-t-elle. "Les clubs professionnels auraient tout intérêt à avoir une gouvernance réellement mixte voire paritaire pour réfléchir et agir pour une politique générale du club. Et que les féminines ne soient pas une variable additionnelle ou occasionnelle au gré des tendances."
Sur ce sujet, beaucoup de joueuses ont exprimé leur colère, dénonçant le manque de considération des fédérations envers leur performance.
C'est le cas d'Ada Hegerberg, première Ballon d'Or et buteuse de l'OL, club six fois champion d'Europe présidé par Jean-Michel Aulas, qui a quant à lui mis les moyens nécessaires à ce que l'équipe féminine soient dans les meilleures conditions pour rafler les trophées.
La joueuse a ainsi décidé de boycotté la Coupe du monde et refusé de jouer avec la sélection norvégienne pour protester contre les inégalités salariales justement, mais aussi de traitement. Elle expliquait lors d'un entretien avec Le Monde que pour elle, il était "impossible d'être une footballeuse et de ne pas se battre pour l'égalité".
"Quand on lit attentivement les interviews d'Ada Hegerberg, on voit que ses attentes sont beaucoup plus fortes que le seul côté financier (la Norvège a depuis promis des salaires égaux entre joueurs et joueuses, ndlr)", explique Dominique Crochu. "Elle évoque plutôt la reconnaissance insuffisante de sa fédération, du staff qui était en place à l'époque. C'est davantage une question de valeurs que d'argent et cela donne beaucoup de force à son choix de renoncer à sa sélection. Respect."
Pareil pour les Américaines. L'équipe de football féminine des Etats-Unis a de son côté saisi la justice pour réclamer la fin des écarts salariaux ahurissants entre les footballeurs et et les footballeuses.
"C'est la meilleure équipe du monde, elles ont un palmarès éloquent : 3 victoires en Coupe du monde, 4 médailles d'or aux JO", commente l'experte. "Et effectivement, elles n'ont pas accès aux mêmes droits de prime que les joueurs alors que ceux-ci n'ont jamais ramené le moindre titre. Il y a une disproportion de traitement, une injustice, une inégalité frappante."
Elle rappelle cependant que les contextes sont très différents d'un pays à l'autre sur les questions d'infrastructure, de conditions globales pour la compétition, les avantages ou les avancées.
On évoque les mots de Gaëtane Thiney, attaquante des Bleues, qui trouvait la différence de prime plutôt normale : "Si on rapporte autant que les hommes, je n'ai aucun souci pour qu'on gagne autant", déclarait-elle lors d'une conférence de presse. "Mais mathématiquement, si on fait les comptes, je ne suis pas sûre qu'on rapporte autant que les hommes".
Même chose pour les inégalités de traitement. Quand les filles ont dû quitter le château de Clairefontaine en pleine préparation du Mondial pour poser leurs valises à La Voisine, autre auberge du centre national de foot, et laisser la place aux Champions du monde en vue d'un match amical, il n'y a eu aucune indignation. "Le château est prioritairement pour les Bleus, cela a toujours été comme ça", expliquait même la sélectionneuse Corinne Diacre.
Si on peut supposer une certaine pression derrière l'entraîneure de l'équipe du pays hôte, Dominique Crochu explique cependant qu'il faut se placer dans le prisme de l'évolution majeure qu'ont récemment connu les Françaises. "Les Bleues connaissent bien leur propre contexte et des pas de géants qui ont été accomplis par leurs clubs pour leur permettre de vivre de ce nouveau métier", explique-t-elle.
"La Fédération sera de façon évidente dans l'obligation de conduire une réflexion et une action sur une politique de primes globale égalitaire pour les prochaines épreuves internationales, dans la mesure où les joueuses auront toutes un statut professionnel."
Quand la D1 passera entièrement pro, les joueuses pourraient donc enfin prétendre à des salaires plus équitables.
Grâce à la médiatisation de taille dont a bénéficié la compétition internationale, les mentalités commencent à évoluer. La preuve avec les audiences qui ne cessent de grandir - et rattrapent les matches de la Coupe du monde 2018.
Pour les huitièmes de finale face au Brésil, 11,9 millions de personnes avaient répondu présent·es devant leur écran, 2 millions de plus que pour le match d'ouverture qui affichait déjà un record. L'année dernière à la même époque, les Bleus avaient rassemblé 12,54 millions de téléspectateurs et téléspectatrices devant France-Argentine, selon 20 Minutes. Un score similaire qui donne de quoi répondre aux adeptes du "on ne gagne que ce qu'on génère".
"Les résultats, la performance, la qualité sont des facteurs influents forcément. À noter que c'est surtout parce que les exploits sportifs sont vues à la télévision qu'ils ont un impact par les émotions collectives partagées", souligne Dominique Crochu. "La visibilité essentielle est une clé de progrès."
Elle explique également que pour une véritable avancée, financière ou comportementale, il faut la parité dans la gouvernance du foot : "Le partage du pouvoir dans toutes les instances du sport, c'est le seul moyen d'arriver à l'égalité femmes-hommes dans [ce domaine]".
Pour Nicole Abar, ancienne joueuse et inventrice du premier baby-foot mixte, la Coupe du monde sera forcément bénéfique : "Les petites filles vont voir des matches de foot féminin à la télé et vont pouvoir dire : 'C'est super, j'ai envie de jouer'", Elles vont pouvoir se projeter. Les petits garçons vont regarder les matches avec du très beau football à la télé et quand ils verront des filles arriver dans les clubs, ils trouveront ça normal."
Vivement la nouvelle génération.