Dans moins d'un mois, Donald Trump s'installera à la Maison Blanche, et ni la douceur des fêtes ni les vapeurs d'alcool du Nouvel An ne sont parvenues à dissiper la nausée grandissante que soulève cette idée. Pourtant, s'il a bien gagné les élections, la partie s'annonce difficile pour le magnat de l'immobilier grimé en homme politique ; et faute de se préparer à célébrer l'investiture de celle qui aurait pu être la première femme aux Etats-Unis à briser le plus haut des plafonds de verre, on ne peut que se contenter de rire des déboires du républicain en attendant mieux (comme une procédure d'impeachment, par exemple).
Sans même être encore au pouvoir, ce dernier est parvenu à déclencher un incident diplomatique avec la Chine à cause de ses tweets intempestifs, et doit maintenant affronter une humiliation inattendue, alors que de nombreuses stars américaines ont refusé de venir chanter à son investiture le 20 janvier. Une fois de plus, il fait pâle figure à côté de son prédécesseur : tandis que Barack Obama avait réuni Aretha Franklin et Beyoncé en 2009 et 2013, la seule liste qui s'allonge à l'approche de la cérémonie en l'honneur de Trump est celle des refus: les Kings of Leon, Céline Dion, Lynyrd Skynyrd, Hank Williams Jr, Andrea Bocelli, Justin Timberlake, Elton John et le groupe Kiss ont tous fait savoir qu'ils passeraient leurs tours.
Pis encore, la révolte gronde même parmi les artistes qui ont accepté l'invitation du républicain. L'une des choristes du célèbre Choeur du Tabernacle mormon, très populaire aux Etats-Unis, a posé sa démission après avoir annoncé qu'elle ne pouvait chanter pour Trump "en toute bonne conscience". Et c'est loin d'être un cas isolé.
Le Choeur du Tabernacle mormon est une chorale très populaire aux Etats-Unis, qui a été fondée en 1847 par des pèlerins débarqués à Salt Lake City et membres de l'Eglise de Jésus-Christ des saints des derniers jours. Aujourd'hui, elle se compose de 360 voix, accompagné par la colossale Orgue du Tabernacle mormon et l'Orchestre de Temple Square avec ses 110 musiciens.
Récompensé par la National Medal of Arts –la plus haute distinction artistique américaine- en 2003 et le prix Mère-Teresa en 2006, le Choeur a été qualifié par Ronald Reagan de "Choeur de l'Amérique" et par George W. Bush de "trésor national". Cette emblématique chorale a chanté à l'investiture de Lyndon Johnson (1965), de Richard Nixon (1969), de Ronald Reagan (1981), de George H.W Bush (1989) et de George Bush (2001) : elle a donc une longue tradition en matière de participation aux investitures présidentielles.
Cependant, l'annonce de sa participation à la cérémonie en l'honneur de Trump est très loin d'avoir fait l'unanimité, car le Choeur représente directement l'Eglise mormone des derniers jours et ses valeurs, qui sont loin d'être celles colportées par Trump, ses coups de gueules et ses vulgarités. Et face à ce qui est rapidement devenue une question morale pour beaucoup de mormons, l'une des choristes, Jan Chamberlin, n'a pas hésité à démissionner plutôt que de chanter pour le président fraîchement élu.
La Mormone, qui faisait partie du choeur depuis 5 ans, a posté sur Facebook la lettre de démission qu'elle a rédigée après avoir appris qu'elle allait devoir chanter pour Trump : "Depuis cette annonce, j'ai passé de nombreuses nuits blanches, en proie à la tourmente et au désespoir. J'ai réfléchi attentivement aux deux alternatives, j'ai beaucoup prié, j'en ai parlé avec ma famille et mes amis et creusé mon âme J'ai essayé de me convaincre qu'en n'allant pas à l'inauguration, je pourrais rester dans la chorale pour d'autres bonnes raisons. J'ai essayé de me convaincre que tout irait bien et que je pourrais continuer en toute bonne conscience. Mais c'est impossible", y explique-t-elle.
Le porte-parole de l'Eglise des saints des derniers jours a refusé de commenter la démission de la choriste, mais a précisé au journal local Salt Lake City Tribune que la participation à l'investiture reposait sur le volontariat et "ne reflétait en rien les opinions ou affiliations politiques" des participants. Mais pour Chamberlin, la neutralité ne peut servir de refuge face à un problème qui touche aux principes défendus par les Mormons. La présence du Choeur à l'investiture "endommagerait sévèrement son image et son réseau" et serait ressentie comme une "trahison" par une partie de la très diverse communauté mormone. "Je sais seulement que je ne pourrais pas 'jeter de roses à Hitler'. Et je ne pourrais pas chanter pour lui' a-t-elle ajouté.
Cette démission coup de poing a mis en lumière la vague d'indignation qu'a suscitée la participation du Choeur du Tabernacle mormon à l'investiture de Donald Trump. Comme le rapporte le New York Times, plus de 19 000 personnes (des mormons pour l'essentiel) ont protesté contre cette décision en signant une pétition créée par Randall Thacker, un membre de l'Eglise des saints des derniers jours qui a été le président de l'Affirmation, un groupe pour les Mormons gays. "Je ne pense pas que Trump représente les valeurs mormones ou ses 15 millions de membres à travers le monde", a-t-il écrit dans la pétition. Il faut dire que comme le souligne Paul A. Reyes dans sa tribune pour CNN, les mormons de l'Eglise des saints des derniers jours sont à l'origine des pèlerins qui ont été persécutés pour leur religion et leurs origines à leur arrivée aux Etats-Unis, et qui ont donc fait de leurs fondamentaux la tolérance, le respect et la liberté de culte - des valeurs que Trump n'a cessé de piétiner depuis le début de sa candidature pour la Maison Blanche.
Le même vent de protestation agite les rangs des Radio City Rockettes, les danseuses américaines spécialistes du "french cancan" qui devront aussi danser à l'investiture de Trump. L'une d'entre elles, sous le pseudonyme "Mary" a confié à Marie-Claire qu'une danseuse avait pleuré pendant tout une représentation après avoir appris "qu'elle serait forcée de danser pour un monstre". Une autre a envoyé un email à ses collègues en disant "qu'elle avait peur de se tenir en costume [ndlr, les Rockettes portent toujours des tenues courtes et affriolantes] à côté d'un homme pareil" - autrement dit, d'un homme qui se vante publiquement d'avoir déjà agressé sexuellement des femmes.
Trump est donc loin de faire l'unaminté : alors qu'Obama quitte le Bureau Ovale avec un taux de satisfaction record de 55%, Trump va y entrer avec la côte d'impopularité la plus haute pour un président entrant : 48% Les protestations et la pénurie de célébrités qui entourent son investiture ne sont qu'une infime partie de la forte opposition que Trump va devoir apprendre à gérer : il s'apprête à se confronter aux dures réalités de la Maison Blanche, et la technique du coup de gueule permanent risque vite de ne plus suffire à ce novice de la politique. Que le spectacle commence...