Santé
Enfants surdoués, précoces... Cette psy dénonce le "business des diagnostics HPI"
Publié le 18 juin 2022 à 10:20
Par Le HuffPost
Existe-t-il une "épidémie" de diagnostics d'enfants à "haut potentiel intellectuel" (HPI) ? C'est ce que dénonce la psychopraticienne Emmanuelle Piquet qui redoute un business autour de ces diagnostics.
Faut-il croire les diagnostics HPI ? Faut-il croire les diagnostics HPI ?© Adobe Stock
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Enfants surdoués, précoces, zèbres ou "à haut potentiel intellectuel" (HPI)... Les termes évoluent, mais tendent tous à poser un diagnostic sur des enfants ou adultes aux capacités intellectuelles particulièrement développées. Selon l'OMS, 2,3% des enfants de 6 à 16 ans qui sont scolarisés sont intellectuellement précoces. Cela représenterait 200 000 enfants en France.

Le dernier épisode de la saison 2 de HPI, saga policière qui cartonne sur TF1, a été diffusé ce jeudi 16 juin. Audrey Fleurot y joue le rôle d'une maman à "haut potentiel intellectuel" et cette seconde série d'épisodes a déjà convaincu en moyenne 9,87 millions de téléspectateurs.

En attendant la saison 3, Emmanuelle Piquet, psychopraticienne, nous livre son regard sur les revers de ce qu'elle estime être parfois un "business des diagnostics". Dans Nos enfants sous microscope: TDAH, haut potentiel, multi-dys & Cie : comment stopper l'épidémie de diagnostics, ouvrage co-écrit avec Alessandro Elia et publié en 2021 aux éditions Payot, elle s'inquiète du catalogage de plus en plus systématique des enfants atypiques.

Constatez-vous une augmentation des consultations pour déceler la précocité ?

EP : Si l'on s'en tient à la définition de départ de "HPI", qui est un enfant au quotient intellectuel élevé (QI), il n'y en a pas beaucoup plus. Mais si l'on remplace la mesure du QI par des critères qui, selon les études sur ce sujet n'ont pas grand-chose à voir avec la précocité, comme le besoin de justice et l'hypersensibilité, alors il y a clairement beaucoup plus de diagnostics. C'est logique, les enfants concernés sont plus nombreux !

Comment l'expliquez-vous?

EP : C'est une réponse très sécurisante de mettre des gens dans des cases et de dire : c'est parce que l'enfant est comme ça à l'intérieur de lui que ça dysfonctionne. Ça explique, ça donne du sens et c'est très soulageant parce que l'enfant se dit : "On va arrêter de dire que je suis arrogant, ou feignant, c'est parce que j'ai cette défaillance-là". C'est très déculpabilisant pour le monde adulte, qui se dit qu'il n'y est pour rien, c'est parce qu'il est comme ça. Donc c'est une réponse extrêmement "pratique" de ce point de vue là.

La médecine psychiatrique et notamment pédopsychiatrique a voulu s'inspirer de la médecine générale, en disant: on a un symptôme, on a un marqueur biologique et donc on a un traitement. Par exemple, pour les HPI, le marqueur principal est le calcul du quotient intellectuel (QI).

Si le QI fait partie des moins générateurs de scepticisme, la plupart des marqueurs ne font pas l'unanimité en pédopsychiatrie. Donc c'est facile d'en trouver et de poser un diagnostic. Ces dix dernières années, lorsque le QI n'était pas forcément très élevé -qualifié d'"hétérogène"- on a par exemple déplacé la focale sur l'hypersensibilité de l'enfant.

On peut parler d'un "business des diagnostics", quand on voit les prix pratiqués : 98 euros pour la première consultation, 410 pour le test de QI, 98 pour le compte-rendu, 88 pour une consultation de guidance familiale...

Les diagnostics HPI sont-ils sérieux ? © Adobe Stock
Dans votre ouvrage, vous parlez même d'une "épidémie de diagnostics". En quoi est-ce problématique selon vous?

EP : On va diagnostiquer des enfants qui n'ont pas à l'être en leur disant "comme tu es comme ci, tu ne vas jamais pouvoir faire ça" ou "ça va être compliqué pour toi." Et donc on crée des prophéties auto-validantes.

À partir du moment où l'on dit qu'un enfant est HPI, on va en déduire qu'il est hypersensible et on va commencer à regarder tout ce qui ne va pas chez lui, dans ses relations avec les autres. On va le scruter, ce qui va générer beaucoup d'angoisses et il va être moins à l'aise avec les autres. Tout cela va conforter l'idée qu'en effet, son comportement est problématique.

Quand on regarde un gamin comme étant problématique ou troublé, il le devient. C'est logique. Si certains refusent de se conformer à ce qu'on projette sur eux, très souvent c'est l'inverse qui se produit.

Quelles sont les "prophéties auto-validantes" dont vous parlez, en ce qui concerne les enfants diagnostiqués HPI?

EP : Les enfants HPI, par exemple -et c'est très implicite-, vont intégrer le fait qu'ils sont tellement intelligents que ça ne peut pas bien se passer avec les autres, qui sont jaloux. Et le problème, c'est que comme c'est valorisé, cela peut développer une forme d'arrogance chez certains enfants.

C'est aussi peu productif que de dire à une petite fille qui se fait embêter dans la cour que c'est parce qu'elle est "trop belle". Ça n'aide pas. Et en plus, on n'est pas du tout dans le contexte de l'interaction. Ces enfants-là utilisent cette arrogance comme une armure, ce qui est profondément inefficace. On va devoir travailler avec eux pour qu'ils fassent autrement et qu'ils sortent de cette essentialisation.

Dans votre livre vous écrivez : "coller des étiquettes, c'est couper le contexte". Qu'est-ce que ça signifie?

EP : L'idée est de soigner plutôt les relations que les enfants. Il est beaucoup plus judicieux à mon sens de faire un diagnostic de contexte, donc des interactions que l'enfant entretient avec son écosystème ou avec lui-même. Et de lui proposer des solutions relationnelles plutôt qu'individuelles, en prenant en compte le contexte scolaire et familial.

Il faut changer notre regard et cesser par exemple de voir les débordements d'un enfant comme des symptômes d'hyperactivité, mais plutôt comme les signes d'une créativité bouillonnante. On peut regarder ce qu'il fait avec ces symptômes qui le font souffrir et voir ce qu'on peut faire autrement dans ce contexte et ces interactions-là, plutôt que d'aller tout de suite diagnostiquer son cerveau pour essayer d'y trouver des défaillances.

Et si cela n'aboutit pas à un apaisement de la souffrance, alors il sera toujours temps de faire un diagnostic cérébral ou psychiatrique. On ne jette pas tout par-dessus bord, mais on essaye de voir déjà les interactions et le contexte avant de chercher des défaillances chez l'enfant.

Est-ce aussi pour les parents une manière de bénéficier d'un accompagnement privilégié pour leur enfant ?

EP : Oui, bien sûr: s'il n'y a pas le diagnostic, il n'y a pas l'accompagnement qui va avec. Et on est dans un cercle vicieux, car autant à certains moments l'accompagnement est nécessaire et aide beaucoup, autant parfois cela provoque l'effet opposé.

Le fait d'avoir plein de spécialistes qui s'occupent de regarder comment un gamin a des défaillances ou pas, nous pensons avec Alessandro Elia que cela fait partie du problème et de la souffrance. Mais les parents sont très rassurés par cela.

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