Donald Trump n'est pas le seul à faire mentir les sondages : le 20 novembre 2016, François Fillon a défié à son tour tous les pronostics en dominant très largement le premier tour de la primaire de la droite et du centre. A la surprise générale, avec 44,2% des voix, il a écrasé Alain Juppé (28,6% des voix) et a sonné le coup d'arrêt du grand retour en politique de son ancien président, Nicolas Sarkozy (éliminé avec 20,6% des voix). Entre deux candidats tapageurs, qui multipliaient des déclarations choc dans un tintamarre de casseroles judiciaires, François Fillon, souvent fade par excès de sobriété, passait presque inaperçu. Mais sa surprenante victoire a remis l'homme de l'ombre de cette campagne sous le feu des projecteurs. Et l'attention toute nouvelle qui se porte sur celui qui aime à se faire appeler "le paysan de la Sarthe" est loin d'être tendre : on (re)découvre la facette ultra-conservatrice d'un homme emblématique de la vieille droite française traditionnelle, aux convictions empreintes de catholicisme et qui s'est notamment prononcé contre le mariage gay, le PACS ou même l'avortement. Après les suées froides des femmes en Pologne et leur inquiétude grandissante face à Trump, serait-ce au tour des Françaises de trembler pour leurs droits ?
L'ancien Premier ministre apparaît aux yeux de beaucoup de partisans de la droite comme étant un parfait compromis entre l'électorat centriste et conservateur, inspirant la confiance par son calme et son sérieux, moins au centre que Juppé et moins populiste que Sarkozy. Pourtant, il ne faut pas s'y tromper : François Fillon n'a rien d'un modéré, et il n'est peut-être pas aussi inoffensif qu'il ne le paraît. Pour Challenges, le discret candidat de 62 ans est un "néo-réactionnaire" qui prône le retour de "la France des scouts [...] qui ne rêve pas de l'identité heureuse mais de l'identité d'avant". Et après son écrasant triomphe au premier tour, celui qui sera très certainement le champion des Républicains inquiète beaucoup les associations féministes, qui attaquent ses positions très conservatrices sur les droits des femmes ou l'homosexualité.
Après tout, même le penchant pour la discrétion de Monsieur Fillon ne peut faire oublier qu'il est l'élu pour les présidentielles de 2017 du Sens Commun, l'émanation politique de La Manif pour Tous chez les Républicains. Le soutien ultra-conservateur de ce groupe est l'emblème des opinions du candidat de droite sur les sujets chauds de la politique sociale. Et notamment sur les droits des homosexuels. En 1981, François Fillon, alors député, vote contre la majorité sexuelle à 15 ans pour les rapports homosexuels, comme c'était le cas pour les rapports hétérosexuels, se prononçant ainsi contre la dépénalisation de l'homosexualité en 1982. Et par la suite, Fillon campe sur ses positions en s'opposant au PACS en 1999 puis à la loi Taubira de 2013, en arguant que le mariage homosexuel bouscule "l'héritage de notre modèle de société".
Et les femmes ne sont pas mieux loties. Car Fillon ne fait pas exception à la règle : religion et droits des femmes font généralement un bien mauvais ménage. Du fait de son catholicisme, l'ancien Premier Ministre a fait rugir les défenseurs de l'IVG en avouant en octobre 2016, sur le plateau de l'Emission Politique de France 2, être opposé à l'avortement "à titre personnel".
Face à cet ultra-conservatisme, les féministes sont montées au créneau. Caroline de Haas, militante féministe et fondatrice d'Osez le Féminisme, a été la première au lendemain de la victoire de Fillon au premier tour de la primaire à attaquer ses idées anti-IVG et anti-mariage gay, tandis que le Collectif Droits des Femmes des femmes lançait les hashtags #Fillonsçapromet et #FillonPrésidentCaSerait pour dénoncer l'esprit réactionnaire de ses prises de position. Depuis, il est la cible d'une attaque en règle sur les réseaux sociaux, où on le compare à Trump, Le Pen ou Poutine...
Pourtant, il est difficile de d'ores et déjà condamner le candidat de droite. En effet, si François Fillon n'a jamais caché son conservatisme, il demeure modéré dans ses déclarations de campagne. A grands coups de volte-face et de déclarations contradictoires, il semble cultiver l'ambiguïté.
Le candidat de la droite justifie par exemple son opposition au mariage homosexuel de 1982, qui nourrit de nombreuses accusations d'homophobie en parlant de vote de circonstance, "lié à une époque" : "Non, je ne revoterais pas pareil aujourd'hui. Le contexte, le débat sur les moeurs n'était pas le même. Mais surtout, il faut se rendre compte qu'en 1981, on est dans une guerre sans merci avec la gauche qui vient de nationaliser les banques, qui vient de nous imposer des réformes extrêmement brutales. Donc on vote contre tout", rapporte le Huffington Post. Quant à la loi Taubira, après l'adoption définitive du projet par l'Assemblée nationale le 23 avril 2013, Fillon a annoncé qu'il respecterait la loi de la majorité et qu'il ne reviendrait pas sur le mariage gay s'il était élu président de la République, tout en suggérant une "adaptation du texte" en ce qui concerne l'adoption, la PMA et la GPA. Conservateur donc, mais sans tomber dans le radicalisme.
Il en va de même sur la question de l'avortement : tout au long de sa carrière, cela semble être un sujet qui a gêné François Fillon, mais contre lequel il n'a pas souhaité se battre. En novembre 2014, il était en effet l'un des 27 députés de l'UMP à voter pour la résolution "réaffirmant le droit fondamental à l'IVG". Quelques mois plus tôt, il avait attaqué la disposition visant à renforcer le droit à l'IVG en faisant sauter la notion de détresse que comportait encore la loi et qui précisait qu'une femme ne pouvait recourir à l'avortement que si elle était en "situation de détresse" par rapport à sa grossesse – et donc, ne le permettant pas si elle ne voulait simplement pas de l'enfant. Il avait alors qualifié l'avortement de "faute morale et politique" qui risquait de "banaliser l'avortement". Il n'avait pourtant pas voté contre le lendemain, en préférant jouer aux abonnés absents à l'Assemblée. Idem pour la fin du délai de réflexion, qui obligeait les femmes à "réfléchir" une semaine à leur décision d'avorter : bien que contre cette suppression, il s'est également abstenu de voter. En juin 2016, Fillon expliquait également à un meeting dans les Yvelines qu'il avait "commis une erreur" en écrivant dans son livre Faire (2015) que l'IVG était "un droit fondamental", mais précise immédiatement : "Je voulais dire que l'avortement, personne ne reviendrait dessus. Mais philosophiquement et compte-tenu de ma foi, je ne peux l'approuver". Et il confirme sur France 2 en octobre 2016 qu'il exclut totalement de revenir sur le droit à l'IVG en tant que président.
Il est donc peut-être un peu tôt pour crier au loup, François Fillon n'ayant ouvertement menacé aucun des droits fondamentaux acquis au cours de ces dernières décennies. Cependant, c'est de son ambiguïté que peut justement naître la peur. Conservateur dans ses paroles, modéré dans ses actes, Fillon semble en fait entretenir le doute sur ses réelles dispositions à attaquer ces lois essentielles afin de briguer les votes de ses soutiens traditionalistes. Et dans une élection qui, malheureusement, sera sans doute polarisée par la nécessité de faire barrage à Marine Le Pen, la candidate d'extrême-droite, on peut se demander jusqu'où le candidat des Républicains serait prêt à aller pour flatter l'électorat ultra-conservateur. Car à trop convoiter les mêmes votes, il risque de tomber dans les mêmes excès. La course à l'Elysée promet d'être longue –et laide.