On dit de l'hypersensibilité qu'elle concernerait 20 % de la population mondiale. Et pourtant, voilà un phénomène qui suscite encore bien des préjugés et amalgames, quand il n'est tout simplement pas synonyme d'incompréhension. Une réalité d'autant plus déplorable dans un contexte de pandémie anxiogène, qui ne fait qu'exacerber les expériences négatives des personnes hypersensibles.
Cela, l'entrepreneure, anthropologue et coach Sophie Clergue l'a bien observé. C'est d'ailleurs pour répondre aux interrogations et besoins - d'aide, d'écoute - des hypersensibles que la spécialiste, hypersensible elle-même et exploratrice du sujet depuis des années déjà, a fondé un club sur le réseau Clubhouse : le bien-nommé Club des Hypersensibles. Deux semaines seulement après sa création, on dénombrait déjà 2 600 membres. S'y retrouvent les principaux concerné·e·s pour participer à des conférences, picorer des informations, échanger.
Idéal pour mieux appréhender le terme d'hypersensibilité, et surtout, mieux le comprendre. Sophie Clergue nous dit tout sur ce phénomène émotionnel et sensoriel, sa réalité, sa complexité, mais aussi... ses vertus.
Sophie Clergue : Ce club virtuel a été créé en mars dernier. Cela faisait déjà un an que je partageais toutes mes recherches sur le sujet de l'hypersensibilité en public, et l'arrivée de l'application de réseautage Clubhouse m'a semblé idéale pour fédérer tous les hypersensibles qui pouvaient passer sur ma route. Quand on se sent liée à une certaine communauté, on a forcément envie de s'entraider.
D'où l'utilité de ce "Club des Hypersensibles", auquel les gens peuvent s'inscrire, et au sein duquel ils peuvent communiquer ensemble durant des conférences audio, ou dialoguer en mode table ronde, pour poser des questions et partager leurs expériences personnelles. On est déjà 3 350 personnes dans ce Club.
Je participe et gère également le groupe Facebook privé Les leaders empathiques, où nous sommes davantage dans des thématiques de coaching et d'entrepreneuriat : comment gérer son hypersensibilité quand on est entrepreneur·e, sublimer ses difficultés pour en faire une véritable force, par exemple.
Sophie Clergue : L'hypersensibilité n'est ni une maladie, ni un trouble reconnu psychiatriquement ou par la science, car il ne fait pas montre de caractéristiques suffisamment "distinguantes" pour le considérer comme tel. Néanmoins, parmi les personnes hypersensibles, on observe certains traits communs. C'est-à-dire, la capacité globale à avoir plus de capteurs que la moyenne des gens sur certains domaines.
Le domaine sensoriel déjà, comme du côté du toucher (de l'étiquette d'un vêtement, de collants en laine, le contact avec une peau non rasée...), de l'ouïe (à mettre en lien avec l'hyperacousie, ce trouble de l'audition qui rend le contact aux sons insupportable), de l'odorat (le fait de ressentir plus sensiblement que la moyenne certaines odeurs pourtant lointaines) et la vue – par exemple, l'impossibilité physique d'allumer la lumière une fois réveillée sans s'aveugler, le fait de devoir attendre pour le faire.
Mais le domaine est également intellectuel. Les personnes hypersensibles peuvent éprouver un foisonnement de pensées, une manière de réfléchir beaucoup plus vaste, et pour ainsi dire une appréhension plus globale, et moins séquencée, d'une situation donnée. Enfin, il y a le domaine émotionnel. Une hypersensibilité émotionnelle indissociable de l'empathie, en partie parce qu'elle implique un ressenti beaucoup plus fort des émotions d'autrui – comme si on se mettait réellement à la place de la personne concernée.
Dans le cas général de l'hypersensibilité, le cerveau prend un phénomène et le suramplifie, tant et si bien que ce phénomène prend toute la place au sein de la gestion cérébrale, pouvant par-là même provoquer une saturation émotionnelle, sensorielle, une surcharge d'informations... Ce qui peut donc impliquer des difficultés dans la vie quotidienne, difficultés au niveau du bien être personnel, de la communication avec les autres également.
SC : De par ce qui a pu être défini, on devine que cette hypersensibilité provoque volontiers une impression de trop-plein émotionnel, et donc de l'anxiété, du stress (le premier phénomène éprouvé généralement), éventuellement, des troubles digestifs (puisqu'un épuisement du système immunitaire), des problèmes de sommeil, des crises d'angoisse et de panique, ou encore, de l'agoraphobie, de la claustrophobie...
Sans oublier les risques de burn out, la sur-sensibilité pouvant provoquer un véritable surmenage. Toutes ces incidences potentielles varient selon les individus, et également selon la capacité de la personne concernée à bien gérer les informations, émotions et sensations qu'elle reçoit, à les maîtriser. Ce qui est évidemment compliqué dans une société qui ne vous apprend pas à le faire, quand vous partie d'une minorité concernée.
SC : Cela fait 20 ans que j'imagine de nombreuses techniques. Comme avoir une chambre à soi, pour se ressourcer. Attribuer aux enfants hypersensibles – qui peuvent être épuisés, ou nerveux, ne serait-ce que par le bruit concentré dans un self de cantine - une pause, à prendre dans la journée, le midi par exemple.
Ne pas négliger l'apport d'une activité artistique également, car cette initiative permet à la personne concernée de se concentrer sur des gestes en particulier, une création, et donc de se canaliser. Cela peut être un bon moyen de se ressourcer. Ce qui est tout aussi important dans le milieu de l'entreprise. Pour les personnes hypersensibles, ce type de "pauses" du système nerveux est très bénéfique.
SC : L'empathie, c'est ressentir ce que les autres ressentent, et ne pas simplement tenter de se projeter en eux. Ainsi, les empathiques ont tendance à éprouver ce que les autres éprouvent. Cela s'observe effectivement beaucoup chez les personnes hypersensibles.
D'un autre côté, certain·e·s hypersensibles sont aussi capables de se couper du monde. Enfants, elles et ils ont peut-être pu si mal vivre leur différence qu'ils ont finalement appris à s'isoler, comme dans une bulle, ce qui peut les faire apparaître comme plus durs, et non forcément plus empathiques en apparence.
SC : Les clés en temps de crise existent. En un tel contexte, les hypersensibles n'ont pas forcément appris à apprivoiser ces informations et affects, et donc, connaître un burn out. Il y a effectivement fort à parier que cette situation a pu exacerber une impression préexistante de surplus négatif chez certain·e·s, dans une situation mondiale de choc et d'anxiété.
J'ai effectivement pu observer chez certaines personnes hypersensibles une saturation, et plus encore une sidération. Certaines se cloîtraient chez elles, n'arrivaient plus à rien faire. Cependant, de par les témoignages que j'ai pu recueillir depuis, je pense que les choses se sont améliorées avec le temps. Le télétravail par exemple a fait office d'alternative bienvenue pour certain·e·s, les rapprochant de leur espace intime, et donc de leur propre gestion, sans forcément forcer une adaptation à un environnement extérieur.
SC : Il serait déjà recommandable de couper les flux trop intenses de nouvelles, d'informations médiatiques - sans pour autant être un ermite bien entendu. Se limiter à la presse papier – car la télévision, média visuel, peut exacerber les émotions ressenties. Savoir bien s'entourer également.
Conserver un espace pour se couper de la négativité, ensuite – sortir, aller dans la nature, trouver son propre espace d'isolement, autant que faire se peut. Echanger avec des hypersensibles peut également aider dans cette situation. La méditation, enfin, est utile pour se ressourcer.
SC : Non, les personnes hypersensibles ont également des atouts. De par leur propension à cette pensée globale, elles peuvent montrer une capacité à organiser les choses comme elles le souhaitent, à mieux gérer leur temps. Sans oublier le foisonnement d'idées et l'arborescence de pensées qu'elles peuvent ressentir, ce qui aide forcément dans le domaine de l'entrepreneuriat et de la création par exemple.
C'est ce que démontre le cas du cinéaste et comédien Maurice Barthélémy, qui a publié un livre à ce sujet, en compagnie de la psychiatre Charlotte Wils : Fort comme un hypersensible. Bien des personnes hypersensibles sont exigeantes et ambitieuses, de par l'intensité qui constitue un pan de leur vie.
De plus, leur capacité d'empathie les amène volontiers sur le terrain de la transmission – de l'enseignement, par exemple – ou du relationnel – les métiers commerciaux pour ne citer que ce domaine professionnel. C'est une autre qualité que celle-ci. En tant qu'hypersensible, j'ai pu faire rapidement un premier burn out une fois entrée dans le monde de l'entreprise.
Et c'est un médecin qui m'a finalement expliqué que ce que "j'avais" n'était en rien une pathologie ou un trouble. J'ai compris que l'hypersensibilité était également l'expression d'un potentiel. Un potentiel qui ne demande qu'à être révélé !